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REVUE DES DEUX MONDES.

Dominant le cours de la Seine,
Balancent une ombre incertaine
Qui me cache aux feux du midi.

Sans affaire et sans esclavage,
Souvent j’y goûte un doux repos ;
Désoccupé comme un sauvage
Qu’amuse auprès d’un beau rivage
Le flot qui suit toujours les flots.

Ici, la rêveuse Paresse
S’assied les yeux demi-fermés,
Et, sous sa main qui me caresse,
Une langueur enchanteresse
Tient mes sens vaincus et charmés.

Des feuillets d’Ovide et d’Horace
Flottent épars sur ses genoux ;
Je lis, je dors, tout soin s’efface,
Je ne fais rien, et le jour passe ;
Cet emploi du jour est si doux !

Tandis que d’une paix profonde
Je goûte ainsi la volupté,
Des rimeurs dont le siècle abonde
La muse toujours plus féconde
Insulte à ma stérilité.

Je perds mon temps s’il faut les croire,
Eux seuls du siècle sont l’honneur,
J’y consens : qu’ils gardent leur gloire,
Je perds bien peu pour ma mémoire,
Je gagne tout pour mon bonheur.


Mais ne peut-on pas lui dire comme à Titus ? Il n’est pas perdu, ô poète, le jour où tu as dit si bien que tu le perdais !

Dans l’ode au Pêcheur, un trait touchant et délicat sur lequel je reviens, c’est le faible don que le poète déçu donne à son pauvre semblable, plus déçu que lui : cette obole doit leur porter bonheur à tous deux. Cet accent du cœur dénote dans le poète ce qui était dans tout l’homme chez Fontanes, une inépuisable humanité, une facilité plutôt extrême. Jamais il ne laissa une lettre de pauvre solliciteur sans y répondre : et il n’y répondait pas seulement par un faible don, comme on fait trop souvent en se croyant quitte ; il y répondait de sa main avec une délicatesse, un raffinement de bonté :