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quoique le résultat le plus net de tant de dissertations et d’études soit qu’il n’en faut plus faire, on a fort à regretter que Fontanes n’ait pas donné son dernier mot dans ce genre épique virgilien. Les beautés mâles et chastes qui marquent son second chant sur Sparte et Léonidas, les beautés mythologiques, mystiques et magnifiquement religieuses du huitième chant, sur l’initiation de Thémistocle aux fêtes d’Éleusis, se seraient reproduites et variées en plus d’un endroit. Mais, telle qu’elle est, cette épopée inachevée renouvelle le sort et le naufrage de tant d’autres. Elle est allée rejoindre, dans les limbes littéraires, les poèmes persiques de Simonide de Céos, de Chœrilus de Samos[1]. De longue main, Eschyle, dans ses Perses, y a pourvu : c’est lui qui a fait là, une fois pour toutes, l’épopée de Salamine.

Properce, s’adressant en son temps au poète Ponticus, qui faisait une Thébaïde et visait au laurier d’Homère, lui disait (liv. I, élég. VII) :

Cùm tibi Cadmeæ dicuntur, Pontice, Thebæ
Armaque fraternæ tristia militiæ ;
Atque, ità sim felix, primo contendis Homero,
Sint modò fata tuis mollia carminibus…

ce que je traduis ainsi : « Ô Ponticus ! qui seras, j’en réponds, un autre Homère, pour peu que les destins te laissent achever tes grands vers ! » Et Properce oppose, non sans malice, ses modestes élégies qui prennent les devants pour plus de sûreté, et gagnent les cœurs.

Par bonheur, ici, Fontanes est à la fois le Properce et le Ponticus. Bien qu’on n’ait pas retrouvé les quatre livres d’odes dont il parlait à un ami un an avant sa mort, il en a laissé une suffisante quantité de belles, de sévères, et surtout de charmantes. Il peut se consoler par ses petits vers, comme Properce, de l’épopée qu’il n’a pas plus achevée que Ponticus. Quatre ou cinq des sonnets de Pétrarque me font parfaitement oublier s’il a terminé ou non son Afrique.

Un jour donc que, sur sa terrasse de Courbevoie, Fontanes avait tenté vainement de se remettre au grand poème, il se rabat à la muse d’Horace ; et, comme il n’est pas plus heureux que d’abord, il

  1. Ce Chœrilus de Samos disait, au début de son poème sur les guerres persiques, se plaignant dès-lors de venir trop tard :

    O fortunatus quicumque erat illo tempore peritus cantare
    Musarum famulus, cùm intonsum erat adhuc pratum
     !

    Ce contemporain de la guerre du Péloponèse pensait déjà comme La Bruyère la première ligne de ses Caractères ; il sentait tout le poids d’un grand siècle, de plusieurs grands siècles, comme Fontanes. Il y a long-temps que la roue tourne et que le cercle toujours recommence.