Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/782

Cette page a été validée par deux contributeurs.
778
REVUE DES DEUX MONDES.

Un jour, à propos des choix trop religieux et royalistes de M. de Fontanes dans l’université, l’empereur le traita un peu rudement devant témoins, comme c’était sa tactique, puis il le retint seul et lui dit en changeant de ton : « Votre tort, c’est d’être trop pressé ; vous allez trop vite ; moi, je suis obligé de parler ainsi pour ces régicides qui m’entourent. Tenez, ce matin, j’ai vu mon architecte ; il est venu me proposer le plan du Temple de la Gloire. Est-ce que vous croyez que je veux faire un Temple de la Gloire ?…. dans Paris ?… Non ; je veux une église, et dans cette église il y aura une chapelle expiatoire, et l’on y déposera les restes de Louis XVI et de Marie Antoinette. Mais il me faut du temps, à cause de ces gens (il disait un autre mot) qui m’entourent. » Je donne les paroles ; les prendra-t-on maintenant pour sincères ? La politique de Bonaparte était là : tenir en échec les uns par les autres. Le dos tourné à Berlier et au côté de la révolution, il jetait ceci à l’adresse de Fontanes et des monarchiens.

En 1811, dans cet intervalle de paix, il s’occupa beaucoup d’université. Un jour, dans un conseil présidé par l’empereur, Fontanes, en présence de conseillers-d’état qu’il jugeait hostiles, eut une prise avec Regnault de Saint-Jean-d’Angely, et il s’emporta jusqu’à briser une écritoire sur la table du conseil. L’empereur le congédia immédiatement : il rentra chez lui, se jugeant perdu et songeant déjà à Vincennes. La soirée se passa en famille dans des transes extrêmes, dont on n’a plus idée sous les gouvernemens constitutionnels. Mais, fort avant dans la soirée, l’empereur le fit mander et lui dit en l’accueillant d’un air tout aimable : « Vous êtes un peu vif, mais vous n’êtes pas un méchant homme. » — Il se plaisait beaucoup à la conversation de Fontanes, et il lui avait donné les petites entrées. Trois fois par semaine, le soir, Fontanes allait causer aux Tuileries. Au retour dans sa famille, quand il racontait la soirée de tout à l’heure, sa conversation si nette, si pleine de verve, s’animait encore d’un plus vif éclat[1]. Il ne pouvait s’empêcher pourtant de trouver, à

  1. L’empereur, dans ces libres entretiens, aimait fort à parler littérature, théâtre, et il attaquait volontiers Fontanes sur ces points. Un jour qu’on vantait Talma dans un rôle : « Qu’en pense Fontanes ? dit l’empereur ; il est pour les anciens, lui ! » — « Sire, repartit le spirituel contradicteur, Alexandre, Annibal et César ont été remplacés, mais Lekain ne l’est pas. » Cette sévérité pour Talma est caractéristique chez Fontanes, et tient à l’ensemble de ses jugemens ; il ne voulait pas qu’on brisât trop le vers tragique, non plus que les allées des jardins. Il avait vu Lekain dans sa première jeunesse, et en avait gardé une impression incomparable. Il convenait pourtant que, dans l’Oreste et l’Œdipe de Voltaire, Talma était supérieur à Lekain ; ce qui, de sa part, devenait le suprême aveu. Faut-il ajouter qu’il en voulait à Talma d’être l’objet de je ne sais quelle phrase de Mme de Staël, où elle disait qu’il