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appeler, et, le mettant sur le chapitre du duc d’Enghien, lui apprit brusquement l’évènement de la nuit. Fontanes ne contint pas son effroi, son indignation. « Il s’agit bien de cela, lui dit le Consul : « Fourcroy va clore après-demain le corps législatif ; dans son discours il parlera, comme il doit, du complot réprimé ; il faut, vous, que, dans le vôtre, vous y répondiez ; il le faut. » — « Jamais ! s’écria Fontanes, et il ajouta que, bien loin de répondre par un mot d’adhésion, il saurait marquer par une nuance expresse, au moins de silence, son improbation d’un tel acte. À cette menace, la colère faillit renverser Bonaparte ; ses veines se gonflaient, il suffoquait : ce sont les termes de Fontanes, racontant le jour même la scène du matin à M. Molé, de la bienveillance de qui nous tenons le détail dans toute sa précision[1]. En effet, deux jours après (3 germinal), Fourcroy, orateur du gouvernement, alla clore la session du corps législatif, et, dans un incroyable discours, il parla des membres de cette famille dénaturée « qui auraient voulu noyer la France dans son sang pour pouvoir régner sur elle ; mais, s’ils osaient souiller de leur présence notre sol, s’écriait l’orateur, la volonté du Peuple français est qu’ils y trouvent la mort ! » Fontanes répondit à Fourcroy dans son discours, il n’est question d’un bout à l’autre que du Code civil qu’on venait d’achever, et de l’influence des bonnes lois : « C’est par là, disait-il (et chaque mot, à ce moment, chaque inflexion de voix portait), c’est par là que se recommande encore la mémoire de Justinien, quoiqu’il ait mérité de graves reproches. » Et encore : « L’épreuve de l’expérience va commencer : qu’ils (les législateurs du Code civil) ne craignent rien pour leur gloire : tout ce qu’ils ont fait de juste et de raisonnable demeurera éternellement ; car la raison et la justice sont deux puissances indestructibles qui survivront à toutes les autres[2]. » Il y a plus : le lendemain (4 germinal), Fontanes, à la tête de la députation du corps législatif, porta la parole devant le Consul, à qui l’assemblée, en se séparant, venait de décerner une statue, comme à l’auteur du Code civil (singulière et sanglante coïncidence) ; il disait : « Citoyen premier Consul, un empire immense repose depuis quatre ans sous l’abri de votre puis-

  1. Ceci confirme et complète sur un point l’essentielle notice de M. Roger, qui nous complète nous-même sur beaucoup d’autres points.
  2. À la façon dont les auteurs de l’Histoire Parlementaire de la Révolution Française parlent de ce discours (tom. XXXIX, pag. 59), on voit qu’au sortir des couleurs fortes et tranchées des époques antérieures ils n’ont pas pris la peine d’entrer dans les nuances, ni de les vouloir distinguer.