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DES SYSTÈMES HISTORIQUES.


semble dire qu’il y avait des hommes de race non germanique, des Romains qui vivaient sous cette loi. Mais la leçon est fausse, comme on peut le voir, si on la rapproche des variantes qu’offrent les différens manuscrits, et surtout de la rédaction amendée par Charlemagne, la plus correcte et la plus claire de toutes. Il est évident que le monosyllabe ou, en latin aut, s’est redoublé par inadvertance des copistes, que le vrai sens de l’article est celui-ci : Si quelque homme libre tue un Frank ou un Barbare vivant sous la loi salique[1], et qu’il n’y a pas dans cet article la moindre place pour les Gallo-Romains.

Le second texte pris à faux par l’illustre écrivain est la constitution promulguée à Rome, en 824, par Lothaire, fils de Louis-le-Débonnaire, afin de terminer la querelle des Romains avec leur évêque Eugène II. C’est une ordonnance uniquement faite pour les habitans de la ville et de son territoire, et non, comme trop de savans l’ont cru, un capitulaire général applicable aux hommes de race romaine dans toute l’étendue de l’empire frank. « Nous voulons, dit cette constitution, traduite ici littéralement avec ses bizarreries grammaticales, nous voulons que tout le sénat et le peuple romain soit interrogé et qu’il lui soit demandé sous quelle loi il veut vivre, afin que dorénavant il s’y maintienne ; et, en outre, qu’il leur soit déclaré que s’ils viennent à transgresser la loi dont ils auront fait profession, ils seront passibles de toutes les pénalités établies par elle, selon la décision du seigneur pape et la nôtre[2]. » Une autre rédaction du même acte, qui se trouve jointe, on ne sait pourquoi, à tous les recueils des lois lombardes, porte, il est vrai, ces simples mots « Nous voulons que tout le peuple romain[3]… » Le mot sénat y est omis ; mais cette omission ne suffisait nullement pour causer la méprise : car si, dans tous les royaumes fondés par les conquérans germains, les indigènes, les provinciaux de l’empire, furent appelés Romains et distingués ainsi des hommes de l’autre race, jamais au-

    (Pactus legis salicæ, tit. XLIV, § I, apud script. rerum Gallicarum et Francicarum, tom. IV, pag. 147.)

  1. Si quis ingenuus hominem Francum aut barbarum occiderit qui lege salica vivit… (Lex salica a Carolo M. emendata, tit. XLIII, § I, apud script. rerum Gallic. et Francic., tom. IV, pag. 220) — Voy. Savigny, Histoire du Droit romain au moyen-âge, tom. i, pag. 88.
  2. Volumus etiam ut omnis senatus et populus romanus interrogetur quali vult lege vivere, ut sub ea vivat ; eisque denuntietur quod procul dubio, si offenderent contra eandem, eidem legi quam profitebantur, dispositioni domni pontificis et nostra omni modis subjacebunt. (Script. rerum Franc., tom. VI, pag. 410.)
  3. Volumus ut cunctus populus romanus interrogetur quali lege vult vivere… (Leges langobardicæ, apud Canciani Antiq. leges barbarorum, tom. I.) — Voy. Savigny, Histoire du Droit romain au moyen-âge, tom. I, pag. 120.