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est venu que les Français libres étant meslés avec les Gaulois qui étaient serfs, le mot de Franc qui était le nom propre de la nation a signifié cette liberté[1]. » Ces propositions, jetées çà et là dans des écrits d’ailleurs très hostiles aux priviléges de la noblesse, y demeurèrent presque inaperçues ; elles ne causèrent aucune rumeur, ni dans le monde de la science, ni dans celui des partis politiques, et la question dormit de nouveau jusqu’à la fin du dix-septième siècle.

Les circonstances étaient alors singulièrement favorables à la production d’une théorie de l’histoire de France, plus savante et plus complète que celle de François Hotman. D’immenses travaux d’érudition, dont la gloire égale presque celle des œuvres littéraires du siècle de Louis XIV, avaient mis à la portée des hommes studieux la plupart des documens historiques du moyen-âge, surtout les monumens législatifs, les actes publics et ceux du droit privé, inconnus au siècle précédent. Ces documens rassemblés dans de vastes recueils étaient éclaircis et commentés par la science des Duchêne, des Pithon, des Dupuy, des Sainte-Marthe, des Labbe, des Sirmon, des Ducange, des Mabillon, des Baluze. D’un autre côté, le déclin de ce long règne, jusque-là si glorieux et si populaire, avait ramené l’agitation dans les idées et fait renaître, en sens divers, les passions politiques. La majestueuse unité d’obéissance et d’enthousiasme qui, pendant quarante ans, avait rallié au pied du trône toutes les forces divergentes, tous les instincts de la nation, venait de se rompre par les malheurs publics et le désenchantement des esprits. La France, épuisée de ressources dans la guerre désastreuse de la succession d’Espagne, se lassait de servir en aveugle à l’accomplissement de desseins politiques dont toute la valeur n’a été connue que de nos jours[2]. L’opposition, quoique sourde et contenue, se réveillait de toutes parts ; les différens ordres, les classes de la nation, se détachant du présent, retournaient à leurs vieilles traditions ou cherchaient, dans des projets de réforme, l’espoir d’un avenir meilleur. Cette royauté de Louis XIV, si admirée naguère, objet d’une sorte d’idolâtrie nationale, trouvait de la froideur dans une grande partie de la noblesse, dans les parlemens, un retour d’indépendance, dans la masse du peuple, la désaffection et le mépris[3]. Des voix de blâme, des conseils sévères parvenaient au vieux monarque du sein de sa

  1. Œuvres de maître Charles Loyseau, Traité des Seigneuries, pag. 5.
  2. Voyez le morceau remarquable placé par M. Mignet en tête du recueil d’actes diplomatiques, intitulé Négociations relatives à la succession d’Espagne sous Louis XIV, 1835.
  3. Voyez la lettre de Fénelon à Louis XIV, dans ses Œuvres, tom. II, pag. 411.