Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/749

Cette page a été validée par deux contributeurs.
745
DES SYSTÈMES HISTORIQUES.

Ces paroles n’eurent alors aucun retentissement, et la puissance seigneuriale n’alla pas y chercher des titres historiques dont elle ne sentait aucun besoin. Les Gaulois et leur postérité restèrent dans un complet oubli, et ce ne fut que trois siècles après, au réveil de l’érudition, que des raisonneurs exercés, appliquant la logique à l’histoire, commencèrent à s’occuper d’eux. Le système de la délivrance par les Germains et celui de la descendance commune tranchèrent les principales difficultés de la question, et les esprits spéculatifs n’allèrent pas plus loin ; un seul entre tous, Charles Loyseau, jurisconsulte et publiciste, hasarda les thèses suivantes qui, plus tard, devaient enfanter un système.

« La noblesse de France prit son origine de l’ancien mélange des deux peuples qui s’accommodèrent ensemble en ce royaume, à savoir des Gaulois et des Francs qui les vainquirent et assujétirent à eux, sans toutefois les vouloir chasser et exterminer ; mais ils retinrent cette prérogative sur eux, qu’ils voulurent avoir seuls les charges publiques, le maniement des armes et la jouissance des fiefs sans être tenus de contribuer aucuns deniers, soit aux seigneurs particuliers des lieux, soit aux souverains pour les nécessités de l’état : au lieu de quoi, ils demeurèrent seulement tenus de se trouver aux guerres. Quant au peuple vaincu, il fut réduit pour la plupart en une condition de demi-servitude[1]. — Pour le regard de nos Français, quand ils conquestèrent les Gaules, c’est chose certaine qu’ils se firent seigneurs des personnes et des biens icelles, j’entends seigneurs parfaits, tant en la seigneurie publique qu’en la propriété ou seigneurie privée. — Quant aux personnes, ils firent les naturels du pays serfs, non pas toutefois d’entière servitude, mais tels à peu près que ceux que les Romains appelaient ou censitos, seu adscriptitios, ou colonos, seu glebæ addictos, qui étaient deux diverses espèces de demi-serfs, s’il faut ainsi parler, dont les premiers sont appelés en nos coutumes gens de mainmorte, ou gens de poste, et les derniers, gens de suitte ou serfs de suitte… Mais quant au peuple vainqueur, il demeura franc de ces espèces de servitude et exempt de toute seigneurie privée. D’où

    pression sur le savant auteur de la Notice des Gaules, qui, après l’avoir cité, ajoute : « Ea verba memoratu dignissima, qualia nusquam alibi reperire memini, disertè apertèque docent, ætate scriptoris nimirum circà annum MCC, Francos qui in Gallia dominabantur, adhuc immunes tributorum extitisse, solos Galles inter ipsos tributa pependisse. »

  1. Œuvres de maître Charles Loyseau (édit. de 1701), Traité des Ordres de la noblesse, pag. 24.