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saient la ligue des Sicambres. — Il n’y a pas lieu de rechercher la descendance des Franks ni les traces de leur prétendue migration, puisque ce n’était point une race distincte ou une nation nouvelle parmi les Germains. — Le nom de Frank ne veut point dire libre ; cette signification, étrangère aux langues du nord, est moderne pour elles ; on ne trouve rien qui s’y rapporte dans les documens originaux des IVe, Ve et VIe siècles. Frek, frak, frenk, frank, frang, vrang, selon les différens dialectes germaniques, répond au mot latin ferox dont il a tous les sens favorables ou défavorables, fier, intrépide, orgueilleux, cruel[1]. »

Ces propositions, qui aujourd’hui sont des axiomes historiques, renversèrent d’un même coup et les systèmes qui cherchaient le berceau d’une nation franke, soit en Gaule, soit en Germanie, antérieurement au IIIe siècle, et celui qui érigeait les Franks, sur l’interprétation de leur nom, en hommes libres par excellence et en libérateurs de la Gaule. Elles ressortaient, dans le mémoire de Fréret, du fonds de l’histoire elle-même, exposée sommairement et rendue, sous cette forme, plus claire et plus précise que dans la narration ample, mais peu travaillée, du livre d’Adrien de Valois. L’établissement successif des diverses tribus conquérantes, les déplacemens graduels de la frontière romaine, les traités des Franks et les relations de leurs rois avec l’empire, la distinction des guerres nationales faites par toutes les tribus confédérées, et des courses d’aventure entreprises par de simples bandes ; tous ces points obscurs ou délicats de l’histoire de la Gaule au IVe et au Ve siècle étaient, pour la première fois, reconnus et abordés franchement.

Le mémoire qui faisait ainsi justice d’erreurs en crédit jusque-là, et qui donnait aux opinions saines plus de relief et d’autorité, souleva d’étranges objections au sein de l’académie, et sa lecture fut suivie d’un évènement plus étrange encore ; Fréret fut arrêté par lettre de cachet et enfermé à la Bastille. Les motifs de son emprisonnement, qui dura six mois, sont un mystère ; il est impossible de deviner laquelle des thèses de sa dissertation parut criminelle au gouvernement d’alors ; mais une telle expérience le détourna des grandes recherches sur l’histoire nationale auxquelles il voulait se dévouer. Ses travaux académiques prirent un autre cours ; il remonta jusqu’à l’antiquité la plus reculée, et son admirable netteté d’esprit fit sortir une science nouvelle des ténèbres et du chaos. La chronologie des

  1. Œuvres de Fréret, édition de 1798, tome V, pag. 164, 203 et suiv.