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nage et de l’ordre ecclésiastique pouvait se présenter comme remontant de siècle en siècle jusqu’au Ve, jusqu’à la grande querelle qui, dès la conversion des guerriers franks au christianisme, s’était élevée entre eux et le clergé gallo-romain. L’objet de cette vieille lutte était toujours le même, et sa forme avait peu changé. Il en reste un curieux monument dans les chroniques du XIIIe siècle ; c’est l’acte d’une confédération jurée, en 1247, par les hauts barons de France, pour la ruine des justices cléricales en matière civile et criminelle. Le duc de Bourgogne et les comtes de Bretagne, d’Angoulême et de Saint-Pol étaient les chefs de cette ligue, dont le manifeste, portant leurs sceaux, fut rédigé en leur nom. On y trouve le droit de justice revendiqué exclusivement comme le privilége des fils de ceux qui jadis conquirent le royaume, et, chose plus bizarre, un sentiment d’aversion dédaigneuse contre le droit écrit qui semble rappeler que ce droit fut la loi originelle des vaincus du Ve siècle. Tout cela est inexact, absurde même quant aux allégations historiques, mais articulé avec une singulière franchise et une rude hauteur de langage.

« Les clercs, avec leur momerie, ne songent pas que c’est par la guerre et par le sang de plusieurs que, sous Charlemagne et d’autres rois, le royaume de France a été converti, de l’erreur des païens, à la foi catholique ; d’abord, ils nous ont séduits par une certaine humilité, et maintenant ils s’attaquent à nous, comme des renards tapis sous les restes des châteaux que nous avions fondés ; ils absorbent dans leur juridiction la justice séculière, de sorte que des fils de serfs jugent d’après leurs propres lois les hommes libres et les fils des hommes libres, tandis que, selon les lois de l’ancien temps et le droit des vainqueurs, c’est par nous qu’ils devraient être jugés[1]… À ces causes, nous tous, grands du royaume, considérant que ce royaume a été acquis, non par le droit écrit et par l’arrogance des clercs, mais à force de fatigues et de combats, en vertu du présent acte et de notre commun serment, nous statuons et ordonnons que, désormais, nul clerc ou laïc n’appelle en cause

  1. Quia clericorum superstitio, non attendens quod bellis et quorundam sanguine sub Carolo Magno et aliis, regnum Franciæ de errore gentilium ad fidem catholicam sit conversum primò quedam humilitate nos seduxit, quasi vulpes se nobis opponentes ex ipsorum castrorum reliquiis, quæ à nobis habuerant fundamentum : jurisdictionem sæcularium sic absorbent, ut filii servorum secundùm leges suas judicent liberos et filios liberorum ; quamvis secundum leges priorum et leges triumphatorum, deberent à nobis potius judicari… (Mattei Westmonasteriensis flores historiarum, édit. 1601, pag. 333.) — Mattei Parisiensis, Historia Angliæ major, tom. II, pag. 720, édit. London. — Il y a quelques variantes entre les deux textes.