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REVUE. — CHRONIQUE.

ment, c’est l’opposition des conservateurs, la leur, celle des doctrinaires. Les doctrinaires nous diront-ils qu’en parlant des conservateurs, ils entendent parler aussi du centre gauche, de M. Thiers et de ses amis ? Mais leurs paroles sont expresses. Loin d’avoir fait cette réserve, ils se sont séparés soigneusement, dans cette apologie récente, de tout ce qui n’est pas eux. D’ailleurs, sont-ils d’accord avec le centre gauche sur les grandes questions politiques, et M. Thiers, par exemple, serait-il conservateur à la manière des doctrinaires ? Ce n’est pas ce que pensaient les doctrinaires durant le ministère du 22 février, quand M. Duvergier de Hauranne attaquait M. Thiers avec une si froide amertume, dans ses discours à la chambre ; quand M. de Rémusat faisait rudement payer dans un journal, au président du conseil, ses succès de tribune ; et quand M. Guizot disait, avec un geste inexprimable : « Jamais la politique de M. Thiers ne sera la mienne ! » Où donc est la pensée qui vous réunit, et au nom de quelle sorte de moralité viendriez-vous voter en commun ?

Les doctrinaires citent l’exemple de l’Angleterre. Là, disent-ils, on voit, sans se récrier, une coalition renverser un cabinet : c’est un moyen qui est devenu de droit commun. N’avons-nous pas vu, au contraire, dans la dernière session du parlement, ce moyen réprouvé à la fois par les deux partis qui votaient ensemble sur le bill du Canada, et les radicaux se séparer des tories, de peur qu’on ne les accusât d’être de connivence avec eux ? Il faut dire aussi que les radicaux savaient bien qu’ils rendraient ainsi le pouvoir aux tories, aux tories seuls ; tandis que la gauche ne doute pas que les doctrinaires ne la fassent entrer poliment la première au pouvoir. Les plus sages esprits de l’opposition demandent, il est vrai, des garanties aux doctrinaires ; à quoi ceux-ci répondent en les traitant de ministériels. Or, il n’en faut pas tant pour faire taire les plus virulens. Ministériel ! À la bonne heure, quand les doctrinaires seront devenus ministres !

L’opposition vient d’avoir, en attendant mieux, un magnifique triomphe. Ses prédications ont produit leurs fruits. Un professeur, coupable d’avoir douté de l’excellence des principes de l’opposition, a été attaqué de vive force dans sa chaire et insulté par une foule effrénée. La seconde édition des articles de l’opposition s’est imprimée en pleine place publique, avec de la boue et des gros sous ! Pour la troisième, on a pu l’entendre annoncer par les cris : À la lanterne ! que M. Lerminier a écoutés avec autant de courage que de dédain pendant trois quarts d’heure ! Et les journaux de l’opposition avancée se félicitent ! Ils voient là une leçon de morale donnée à un professeur, à un fonctionnaire, par la jeunesse des écoles. Il se peut que ceux qui menaçaient M. Lerminier de le pendre à la grille du Collége de France se croient de grands moralistes ; mais il était facile de reconnaître en eux la vieillesse des clubs et des associations qui était venue réaliser ses principes, et non la studieuse jeunesse des écoles qui ne mérite pas, en vérité, les éloges que lui décerne l’opposition.

Après tout, rien n’est plus logique. Ne faut-il pas dégoûter les esprits