Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/707

Cette page a été validée par deux contributeurs.
703
LA PUCELLE DE VOLTAIRE.

son trône et trahi par sa maîtresse. C’est ici vraiment l’île impure de Circé, et quiconque entre dans ce cercle d’odieux enchantemens, perd sa forme et sa beauté.

In villos abeunt vestes, in crura lacerti.

Ce poème est une caricature de l’humanité, une longue dérision de l’homme. Je voudrais pouvoir dire qu’un pareil ouvrage est un accident et un hasard dans notre littérature, que c’est une mauvaise pensée qui a traversé l’esprit de Voltaire, mais que la nature et le caractère de l’esprit français n’y sont pour rien. Malheureusement, je suis forcé de reconnaître que cette épopée honteuse est, jusqu’à un certain point, la fille de l’esprit français, fille dégradée et dégénérée, hâtons-nous de le dire, créée dans un jour de débauche, mais qui montre, par le genre même de ses excès et de ses égaremens, ce que peut devenir cet esprit de doute, de scepticisme et d’indépendance qui fait l’esprit français ; esprit admirable, tant qu’il est contenu par la règle, tant qu’il reconnaît un frein, et d’autant plus puissant alors qu’il se modère, et que sa force éclate dans sa soumission même. Mais, quand il a brisé les rênes salutaires qui le retenaient, quand il se livre à toutes ses fantaisies, quand il s’abandonne à toute la témérité de ses pensées, alors il aboutit à l’anéantissement de tous les sentimens moraux et religieux, à la destruction de tout ce qui est beauté, grace, décence, bon goût ; il aboutit à la Pucelle.


Saint-Marc Girardin.