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LA PUCELLE DE VOLTAIRE.

doute, et voilà pourquoi il a cherché à prendre sa revanche dans la Pucelle. N’ayant guère réussi quand il avait voulu traiter sérieusement le merveilleux chrétien, il a pensé qu’il serait plus heureux quand il s’en moquerait. Mais ce moqueur par excellence n’a pas mieux réussi à travestir le merveilleux chrétien dans la Pucelle qu’à le chanter dans la Henriade ; et soit qu’il y ait une sorte d’antipathie naturelle entre le génie de Voltaire et le merveilleux, soit que la moquerie devienne promptement insipide et fade, quand elle attaque les idées qui échappent à ses atteintes par leur élévation même, Voltaire n’a pas été plus heureux dans son enfer de la Pucelle que dans son enfer de la Henriade. Son enfer sérieux ne fait pas trembler, et son enfer grotesque ne fait pas rire.

Dans l’enfer de la Henriade, il avait mis dans la bouche de Henri IV quelques réflexions philosophiques, et encore Henri IV n’était-il qu’un philosophe timide. Il doutait, mais d’une façon réservée, et en homme qui ne veut pas se brouiller avec les censeurs, il doutait de la damnation éternelle des païens et des idolâtres.

Quelle est, disait Henri, s’interrogeant lui-même,
Quelle est de Dieu sur eux la justice suprême ?
Ce Dieu les punit-il d’avoir fermé leurs yeux
Aux clartés que lui-même il plaça si loin d’eux ?
Pourrait-il les juger, tel qu’un injuste maître,
Sur la loi des chrétiens qu’ils n’avaient pu connaître ?

Toute cette philosophie n’anime et n’échauffe guère le poème de la Henriade. Peut-être est-ce parce qu’elle est trop discrète et trop réservée : voyons donc dans la Pucelle, où il se donne carrière, voyons comment il entend l’enfer. L’enfer de la Pucelle est quelque peu contradictoire. Il y met d’abord les sages de l’antiquité, mais c’est un trait de moquerie contre les docteurs chrétiens qui ont cru devoir damner l’antiquité :

Vous y grillez, sage et docte Platon,
Divin Homère, éloquent Cicéron,
Et vous, Socrate, enfant de la sagesse,
Martyr de Dieu dans la profane Grèce,
Juste Aristide et vertueux Solon,
Tous malheureux, morts sans confession.

Puis il trouve plaisant de mettre aussi dans cet enfer

Un pape,
Un cardinal et quatorze chanoines,
Trois intendans, deux conseillers, vingt moines,