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LA PUCELLE DE VOLTAIRE.

C’est plutôt dans le goût de l’Arioste que dans celui du Tasse que j’ai travaillé. J’ai voulu voir ce que produirait mon imagination, lorsque je lui donnerais un essor libre et que la crainte du petit esprit de critique qui règne en France ne me retiendrait pas. Je suis honteux d’avoir tant avancé un ouvrage si frivole, et qui n’est point fait pour voir le jour (ce qui ne l’empêcha pas, en 1754, d’en donner lui-même une édition). Mais, après tout, on peut encore plus mal employer son temps. Je veux que cet ouvrage serve quelquefois à divertir mes amis… »

Voilà donc, si nous voulons l’en croire, quelle est son intention, c’est de faire un ouvrage où il donnera carrière à son imagination, afin d’amuser ses amis en petit comité. Peut-être aussi le renom grotesque qu’avait conservé la Pucelle de Chapelain, inspira à Voltaire cette fantaisie, et il ne se crut point coupable de changer en poème burlesque un poème qui passait pour ridicule. Son intention fut peut-être moins criminelle qu’on pourrait le croire. Reste maintenant son instinct, et le caractère de son esprit ; c’est ici que nous sommes forcé de condamner sévèrement le poète.

L’instinct de Voltaire et la vocation de toute sa vie, ce fut de détruire ce qui existait. Voltaire est le plus grand destructeur de l’ancien régime, et il a certes même détruit plus qu’il ne voulait : non qu’il n’y eût beaucoup à détruire ; mais, dans la destruction, tout a-t-il été juste ? N’y a-t-il pas des innocens qui ont péri dans ce massacre de tous les principes et de tous les sentimens de l’ancien régime ? D’ailleurs, ne demandez point à Voltaire l’impartialité qui distingue le bien du mal. Implacable adversaire du passé, il n’a ni le temps ni la volonté de le juger : il le combat, il le détruit ; voilà son idée dominante, voilà son œuvre. Il nous est facile, à nous qui venons après la lutte, il nous est facile d’être impartiaux ; mais, dans la mêlée, l’impartialité nuit : elle ôte l’ardeur et la force. Voltaire n’est point impartial. Depuis quelques années, nous nous sommes repris d’un grand goût pour le moyen-âge ; nous admirons volontiers la ferveur de sa piété. Aux yeux de Voltaire, cette piété n’est qu’une superstition grossière. Il n’y a, dans le moyen-âge, en fait de religion, que des sots dupés par des fripons. Nous aimons les dévouemens chevaleresques du moyen-âge et les aventures héroïques de ses paladins : il n’y a là, aux yeux de Voltaire, qu’une fureur de bataille et l’héritage des mœurs grossières des barbares des Ve et VIe siècles. Des moines avides et débauchés, des querelles théologiques, des guerriers batailleurs à toute outrance, des guerres sans