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bilement inventé. M. Saint-Firmin, chargé du rôle de don César, est un acteur irrésistiblement gai. Irrésistiblement est, à mon avis, de nature à contenter la vanité la plus exigeante, et j’espère que M. Saint-Firmin se tiendra pour récompensé au-delà de ses espérances. M. Alexandre Mauzin a compris toute la profondeur du personnage de don Salluste ; il a eu deux explosions, l’une au début, l’autre à la fin de la pièce. Or, ces deux explosions font de lui un acteur consommé. Dans le cinquième acte surtout, que M. Hugo intitule : le tigre et le lion, M. Mauzin n’a rien laissé à désirer. Mlle Louise Beaudouin, qui, sous le nom d’Atala Beauchêne, n’avait jamais été qu’une actrice parfaitement insignifiante, devient sous la plume de M. Hugo… devinez ? Un ange. Beauté, grace, tendresse, pathétique, sublime, rien ne manque à Mlle Beaudouin. Lorsqu’elle chantait des couplets mal rimés, elle n’était qu’une femme ; inspirée par le génie de M. Hugo, elle a changé de nature, des ailes d’ange sont venues s’attacher à ses épaules. Pour peu qu’elle joue un second rôle pareil à celui de Marie de Neubourg, elle s’envolera vers les régions éthérées, et la France n’aura plus qu’à la pleurer. Quant à M. Frédérick Lemaître, non-seulement il résume, pour les vieillards, Lekain et Garrick, et pour nous, contemporains, la science et l’inspiration de Talma ; mais la soirée du 8 novembre a été pour lui une véritable transfiguration. Ainsi, M. Frédérick est désormais fils de Dieu, et comme Ruy Blas est fils de M. Hugo, M. Hugo monte nécessairement au rang de Dieu le père, et s’appelle : Jehovah. Chantons en chœur : Gloria in excelsis.

M. Hugo, en louant les acteurs qui jouent Ruy Blas, a voulu sans doute nous montrer comment il veut être loué ; nous profiterions volontiers de la leçon, mais nous désespérons d’égaler jamais un tel modèle.


Gustave Planche.