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enregistrée. Les membres de l’aréopage, du sénat romain et de la constituante, auraient payé au poids de l’or la possession de cette idée. Quelle transformation dans leurs travaux, quelle maturité dans leurs délibérations, s’ils eussent deviné, avec le secours de la philosophie de l’histoire, le théorème que M. Hugo formule si nettement : règle générale, toutes les fois que la noblesse s’avilit, le peuple ne manque pas de la mépriser et de s’enhardir. Je ne connais rien de comparable au théorème de M. Hugo, si ce n’est M. Jourdain découvrant qu’il fait de la prose toutes les fois qu’il dit bonjour à ses amis. La belle chose, mon Dieu, que la philosophie de l’histoire !

M. Hugo ne saurait s’arrêter en si beau chemin ; il poursuit ses explorations scientifiques avec une rare persévérance, et ses efforts sont dignement récompensés. Il découvre que la reine est placée au-dessus du peuple et de la noblesse, et que le peuple tourne vers la reine des regards pleins d’espérance, pour deux raisons très graves et qu’il ne faut pas négliger de mentionner : parce qu’elle est reine et parce qu’elle est femme, c’est-à-dire parce qu’elle est puissante et disposée à la pitié. Or, si l’histoire de toutes les monarchies nous révèle ces vérités si vraies, trop vraies peut-être, puisqu’elles amènent le sourire sur les lèvres, il est facile, à l’aide de ces vérités, d’expliquer l’état de la monarchie espagnole dans les dernières années du XVIIe siècle. Il y avait alors à Madrid comme dans toutes les monarchies, un peuple, une noblesse, une reine, c’est-à-dire Marie de Neubourg, et trois types représentés par don Salluste, don César de Bazan et Ruy Blas. Rendons graces à la philosophie de l’histoire qui explique, si nettement, si clairement un problème qui nous semblait insoluble. Nous sommes maintenant en pleine lumière. Non-seulement nous comprenons les faits et les personnages, mais nous savons, de science certaine, en vertu de quelle idée conçue dès long-temps par la Divinité, ces faits se sont accomplis, pour l’achèvement de quel dessein ces personnages se sont mis en mouvement. En un mot, nous possédons la raison des choses. Voilà, dit M. Hugo, ce que révélerait la philosophie de l’histoire aux esprits attentifs, si le drame qui se nomme Ruy Blas méritait d’être étudié avec un tel flambeau. Oui, sans doute, Ruy Blas est pleinement digne d’une telle étude ; et nous sommes récompensé au-delà de notre espérance. Nous savons sur le bout du doigt l’histoire de toutes les monarchies, nous tenons une clé qui ouvre toutes les portes. N’est-ce pas là un admirable salaire ?

Mais, comme le dit M. Hugo avec une modestie charmante, en