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ceux-là en sont les tyrans. » — Oui, tyrans ! nos Phalaris ne font-ils pas mugir les pensées dans les mots façonnés et fondus en taureaux d’airain ?

À tel romancier qui réussit une fois sur cent, je dirai avec lui : « Il ne faut pas seulement qu’un ouvrage soit bon, mais qu’il soit fait par un bon auteur. »

À tel critique hérissé et coupe-jarret, à tel autre aisément fatrassier et sans grace : « Des belles-lettres. Où n’est pas l’agrément et quelque sérénité, là ne sont plus les belles-lettres.

« Quelque aménité doit se trouver même dans la critique ; si elle en manque absolument, elle n’est plus littéraire… Où il n’y a aucune délicatesse, il n’y a point de littérature. »

À aucune en particulier, mais à toutes en général, ce qui ne peut, certes, blesser personne, dans ce sexe plus ou moins émancipé : « Il est un besoin d’admirer, ordinaire à certaines femmes dans les siècles lettrés, et qui est une altération du besoin d’aimer. »

Et ces pensées qui semblent dater de ce matin, étaient écrites il y a quinze ans au moins, avant 1821, époque où mourait M. Joubert, âgé d’environ soixante-neuf ans.

Je n’aurais pas fini de sitôt, si j’extrayais tout ce qui, chez lui, s’attache au souvenir et vous suit. Combien de vues fines et profondes sur les anciens, sur leur genre de beauté, leur modération décente ! « On parle de leur imagination : c’est de leur goût qu’il faut parler ; lui seul réglait toutes leurs opérations, appliquant leur discernement à ce qui est beau et convenable.

« Leurs philosophes même n’étaient que de beaux écrivains dont le goût était plus austère. »

Paul-Louis Courier les jugeait ainsi. Et sur les formes particulières des styles, sur Cicéron qu’on croit circonspect et presque timide, et qui, par l’expression, est le plus téméraire peut-être des écrivains, sur son éloquence claire, mais qui sort à gros bouillons et cascades quand il le faut ; sur Platon, qui se perd dans le vide, mais tellement, qu’on voit le jeu de ses ailes, qu’on en entend le bruit ; sur Platon encore et Xénophon, et les autres écrivains de l’école de Socrate, qui ont, dans la phrase, les circuits et les évolutions du vol des oiseaux, qui bâtissent véritablement des labyrinthes, mais des labyrinthes en l’air, M. Joubert est inépuisable de vues, et perpétuel d’images. Cicéron surtout lui revient souvent comme Voltaire ; il le comprend par tous les aspects et le juge, car lui-même est un homme de par-delà, plus antique de goût : « La facilité est opposée au sublime. Voyez Cicéron, rien ne lui manque que l’obstacle et le saut. »