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paysans affirmèrent, il est vrai, que Margot était morte sans retour, mais il ne voulut pas les en croire, ni les laisser déposer le corps dans le moulin ; il le chargea sur ses épaules, et, marchant aussi vite qu’il put, il le porta dans la masure qu’il habitait. Le ciel voulut que, dans sa route, il rencontrât le médecin du village, qui s’en allait à cheval faire ses visites aux environs ; il l’arrêta et l’obligea à entrer avec lui, afin d’examiner s’il restait quelque espoir.

Le médecin fut du même avis que les paysans ; à peine eut-il vu le cadavre, qu’il s’écria : « Elle est bien morte, et il n’y a plus qu’à l’enterrer ; d’après l’état où se trouve le corps, il doit avoir séjourné sous l’eau plus d’un quart d’heure. » Sur quoi le docteur sortit de la chaumière, et se disposa à remonter à cheval, ajoutant qu’il fallait aller chez le maire faire la déclaration voulue par la loi.

Outre qu’il aimait passionnément Margot, Pierrot était fort obstiné ; il savait très bien qu’elle n’était pas restée un quart d’heure dans la rivière, puisqu’il l’avait vue s’y jeter. Il courut après le médecin et le supplia au nom du ciel de ne pas s’en aller avant d’être bien sûr que ses secours étaient inutiles. Et quels secours veux-tu que je lui donne ? s’écria le médecin de mauvaise humeur. Je n’ai pas ici un seul des instrumens qui me seraient indispensables.

— Je les irai chercher chez vous, monsieur, répondit Pierrot ; dites-moi seulement ce que c’est, et attendez-moi ici ; je serai bientôt revenu.

Le médecin, pressé de partir, se mordit les lèvres de la sottise qu’il venait de faire, en parlant de ses instrumens ; bien qu’il fût convaincu que la mort était réelle, il sentit qu’il ne pouvait se refuser à tenter quelque chose, sous peine de se faire tort dans le pays et de compromettre sa réputation. Va donc, et dépêche-toi, dit-il à Pierrot, tu prendras une boîte de fer-blanc que ma gouvernante te donnera, et tu me retrouveras ici ; je vais en attendant envelopper le corps dans ces couvertures, et essayer des frictions. Tâche, en même temps, de trouver de la cendre que nous puissions faire chauffer ; mais tout cela ne servira à rien qu’à perdre mon temps, ajouta-t-il en haussant les épaules et en frappant du pied ; allons ! entends-tu ce que je te dis ?

— Oui, monsieur, dit Pierrot, et pour aller plus vite, si monsieur veut, je vais prendre le cheval de monsieur.

Et sans attendre la permission du docteur, il sauta sur le cheval et disparut. Un quart d’heure après, il revint au galop, avec deux gros sacs pleins de cendre, l’un devant, l’autre derrière lui. — Monsieur