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MARGOT.

de l’allée, Mlle de Vercelles s’arrêta et s’assit sur un banc ; Gaston resta quelque temps debout devant elle, la regardant avec tendresse ; puis il fléchit le genou, l’entoura de ses bras, et lui donna un baiser. À ce spectacle, Margot se leva hors d’elle-même ; une douleur inexprimable la saisit, et, sans savoir où elle allait, elle s’enfuit en courant vers la campagne.

VIII.

Depuis que Pierrot avait échoué dans la grande entreprise qu’il avait formée d’être pris pour domestique par Gaston, il était devenu de jour en jour plus triste. Les consolations que Margot lui avait données l’avaient satisfait un moment ; mais cette satisfaction n’avait pas duré plus long-temps que les provisions qu’il avait emportées dans ses poches. Plus il pensait à sa chère Margot, plus il sentait qu’il ne pouvait vivre loin d’elle, et, à dire vrai, la vie qu’il menait à la ferme n’était pas faite pour le distraire, non plus que la compagnie avec laquelle il passait son temps ; or, le jour même du désespoir de notre héroïne, il s’en allait rêvant le long de la rivière, chassant ses dindons devant lui, lorsqu’il vit, à une centaine de pas de distance, une femme qui courait à perdre haleine, et qui, après avoir erré de côté et d’autre, disparut tout à coup au milieu des saules qui bordaient la rive. Cela le surprit et l’inquiéta ; il se mit à courir aussi pour tâcher d’atteindre cette femme, mais, en arrivant à l’endroit où elle avait disparu, il la chercha en vain dans les champs environnans ; il pensa qu’elle était entrée dans un moulin qui se trouvait dans le voisinage ; toutefois il suivit le cours de l’eau avec un pressentiment de mauvais augure. L’Eure était enflée ce jour-là par des pluies abondantes, et Pierrot, qui n’était pas gai, trouvait les flots plus sinistres que de coutume. Il lui sembla bientôt apercevoir quelque chose de blanc qui s’agitait dans les roseaux ; il s’approcha, et s’étant mis à plat-ventre sur le rivage, il attira à lui un cadavre qui n’était pas autre que Margot elle-même ; la malheureuse fille ne donnait plus aucun signe de vie ; elle était sans mouvement, froide comme le marbre, les yeux ouverts et immobiles.

À cette vue, Pierrot poussa des cris qui firent sortir du moulin tous ceux qui s’y trouvaient. Sa douleur fut si violente, qu’il eut d’abord l’idée de se jeter à l’eau à son tour et de mourir à côté du seul être qu’il eût aimé. Il fit cependant réflexion qu’on lui avait dit que les noyés pouvaient revenir à la vie, s’ils étaient secourus à temps. Les