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lorsqu’il l’y visitait en 1787 : « Il faut laisser des alimens sains à l’imagination humaine si on ne veut pas qu’elle se nourrisse de poisons[1]. » Je trouve, dans ce même Mémorial, un parfait et incontestable jugement de Fontanes sur Mirabeau[2], et un autre, bien impartial, sur Lafayette, qu’on croyait encore prisonnier à Olmutz[3] : s’il exprime simplement une honorable compassion pour le général, il n’a que des paroles d’admiration pour son héroïque épouse ; de même qu’en un autre endroit il sait allier à une expression peu flattée sur l’ancien ministre Roland un hommage rendu à l’esprit supérieur et aux graces naturelles de Mme Roland, avec laquelle il avait eu occasion de passer quelques jours près de Lyon, en 1791. Enfin, nous trouvons Fontanes (sa ligne de parti étant donnée) aussi sage, aussi juste, aussi parfait de goût qu’on le peut souhaiter envers les personnes, envers toutes… excepté une seule : je veux parler de Mme de Staël. Car il la toucha malicieusement bien avant les fameux articles du Mercure en 1800. À plusieurs reprises, dans le Mémorial, elle revient sous sa plume : en s’attaquant à une brochure de Benjamin Constant[4], il n’hésite pas à la reconnaître aux endroits les plus vifs, les plus heureux, et c’est pour l’en louer avec une ironie cavalière que dorénavant, à son égard, il ne désarmera plus. Le piquant des premières escarmouches fut tel, dès ce temps du Mémorial[5], que plusieurs lettres de réclamations anonymes lui arrivèrent. En déclarant le tort de M. de Fontanes, on sent le besoin de se l’expliquer.

Fontanes, comme Racine, comme beaucoup d’écrivains d’un talent doux, affectueux, tendre, avait tout à côté l’épigramme facile, acérée. Chez lui la goutte de miel lent et pur était gardée d’un aiguillon très vigilant. S’il ne montrait d’ordinaire que de la sensibilité dans le talent, il portait de la passion dans le goût. Il était, ai-je dit, de l’école française en tout point : et en effet, tout ce qui, à quelque degré, tenait au germanisme, à l’anglomanie, à l’idéologie, à l’économisme, au jansénisme, tout ce qui sentait l’outré, l’obscur, l’emphatique, se liait dans son esprit par une association rapide et invincible ; il voyait de très loin et très vite : son imagination faisait le reste. En somme, toutes les antipathies qu’on se figure que Voltaire

  1. Mémorial du 1er  juillet 1797, article sur les francs-maçons et les illuminés. — Fontanes, dans son voyage à Genève, avait été introduit naturellement prés de Bonnet par M. de Fontanes pasteur et professeur, qui était d’une branche de sa famille restée calviniste et réfugiée.
  2. 11 et 12 août.
  3. 13 juillet.
  4. 20 juin.
  5. Article du 22 juillet et numéro du 1er  septembre.