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POÈTES ET CRITIQUES LITTÉRAIRES DE LA FRANCE.

Durant la révolution, soit sous la terreur, soit après fructidor, Fontanes crut avoir beaucoup à se plaindre de lui, et il rompit tout rapport avec un adversaire, au moins indiscret, qui se figurait peut-être, dans son sophisme d’imagination, continuer simplement envers le proscrit politique l’ancienne polémique littéraire. Mais, sans faire injure à aucune mémoire, et dans l’éloignement où l’on est de leur tombe, on ne peut s’empêcher de pousser le rapprochement : Garat, avec plus de verve et bien moins de goût, louant Desaix, et Kléber, comme Fontanes louait Washington ; Garat se flattant toujours d’élever le monument métaphysique dont on ne sait que la brillante préface, comme Fontanes se flattait de l’achèvement de la Grèce sauvée ; mais, avec une imagination trop vive chez un philosophe, Garat n’était pas poète, et l’avantage incomparable de Fontanes, pour la durée, consiste en ce point précis : il lui suffit de quelques pièces qu’on sait par cœur pour sauver son nom.

À leur date, la Chartreuse et le Jour des Morts, déjà un peu passés, mais à maintenir dans la suite des tons et des nuances de la poésie française ; sans date, et de tous les instans, les Stances à une Jeune Anglaise, l’ode à une jeune Beauté, ou celle au Buste de Vénus ! En un mot, le flacon scellé qui contient la goutte d’essence ; voilà ce qui surnage, c’est assez. Les métaphysiciens échoués n’ont pas de ces débris-là.

Dans les premiers temps de son séjour à Paris, Fontanes travailla beaucoup, et il conçut, ébaucha, ou même exécuta dès-lors presque tous les ouvrages poétiques qu’il n’a publiés que plus tard et successivement. Un vers de la première Forêt de Navarre nous apprend qu’il avait déjà traduit à ce moment (1779) l’Essai sur l’homme de Pope, qui ne parut qu’en 1783. Une élégie de Flins, dédiée à Fontanes[1], nous le montre, en 1782, comme ayant terminé déjà son poème de l’Astronomie, qui ne fut publié qu’en 1788 ou 89, et comme poursuivant un poème en six chants sur la Nature, qui ne devait point s’achever. La Chartreuse paraissait en 1783, et on citait presque dans le même temps le Jour des Morts, encore inédit, d’après les lectures qu’en faisait le poète. Ainsi, en ces courtes années, les œuvres se pressent. Tous les témoignages d’alors, les articles du Mercure, une Épître de Parny à Fontanes[2], nous montrent celui-ci dans la situation à part que lui avaient faite ses débuts, c’est-à-dire

  1. Almanach des Muses.
  2. Almanach des Muses, 1782.