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POÈTES ET CRITIQUES LITTÉRAIRES DE LA FRANCE.

mêlait dans une suffisante et mémorable mesure. Le dernier des classiques donnait le premier les mains avec une joie généreuse à la consécration de la Muse enhardie, et lui-même il s’éclairait du triomphe. Tels, durant les étés du pôle, les derniers rayons d’un soleil finissant s’unissent dans un crépuscule presque insensible à la plus glorieuse des nouvelles aurores !

Pour nous, appelé aujourd’hui à parler de M. de Fontanes, nous ne faisons en cela qu’accomplir un désir déjà bien ancien. Quelle qu’ait été l’apparence bien contraire de nos débuts, nous avons toujours, dans notre liberté d’esprit, distingué à la limite du genre classique cette figure de Fontanes, comme une de celles qu’il nous plairait de pouvoir approcher, et, dans le voile d’ombre qui la couvrait déjà à demi, elle semblait nous promettre tout bas plus qu’elle ne montrait. Sensible (par pressentiment) à l’outrage de l’oubli pour les poètes, nous nous demandions si tout avait péri de cette muse discrète dont on ne savait que de rares accens, si tout en devait rester à jamais épars, comme, au vent d’automne, des feuilles d’heure en heure plus égarées. L’idée nous revenait par instans de voir recueillis ces fragmens, ces restes, disjecti membra poetæ, de savoir où trouver enfin, où montrer l’urne close et décente d’un chantre aimable qui fut à la fois un dernier-venu et un précurseur. C’était donc déjà pour nous un caprice et un choix de goût, une inconstance de plus si l’on veut, mais, j’ose dire aussi, une piété de poésie, avant d’être, comme aujourd’hui, un honneur.

Louis de Fontanes naquit à Niort, le 6 mars 1757, d’une famille ancienne, mais que les malheurs du temps et les persécutions religieuses avaient fait déchoir. L’étoile du berceau de Mme de Maintenon semble avoir jeté quelque influence de goût, d’esprit et de destinée sur le sien. La famille Fontanes, autrefois établie dans les Cévennes (comté d’Alais), y avait possédé le fief d’Apennès ou des Appenès, dont le nom lui était resté (Fontanes des Apennès) : un village y portait aussi le nom de Fontanes. Mais, à l’époque où naquit le poète, ce n’étaient plus là que des souvenirs. Sa famille, comme protestante, ne vivait, depuis la révocation de l’édit de Nantes, que d’une vie précaire, errante et presque clandestine. Son grand-père, son père même étaient protestans ; il ne le fut pas. Sa mère, catholique, avait, en se mariant, exigé que ses fils ou filles entrassent dans la communion dominante. Les premières années de cet enfant à imagination tendre et sensible, furent très pénibles, très sombres. Son frère aîné avait étudié au collége des oratoriens