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DE LA VIE DE JÉSUS.

Dans le vrai, ni la philosophie, ni la religion, ne s’absorberont l’une l’autre. Elles s’alimentent mutuellement ; elles renaissent éternellement l’une de l’autre, sans jamais pouvoir ni se convertir l’une dans l’autre, ni se superposer comme des identités. Si l’homme n’avait pour lui que le raisonnement, il tomberait, de négation en négation, dans le dernier cercle du néant. Si l’homme n’avait que la foi, il serait emporté sans retour, par-delà toute réalité, aux plus extrêmes limites de l’infini. Mais du conflit de ces deux forces opposées se compose le mouvement régulier de l’humanité, comme des deux forces qui se disputent chaque étoile se compose l’orbite qu’elle parcourt dans ses révolutions annuelles. Si cette guerre apparente venait à cesser, tout ordre, comme tout mouvement, serait détruit ; d’où il faut induire que ni ceux qui veulent tout ramener au raisonnement, ni ceux qui veulent tout ramener à la foi, ne possèdent la vérité.

Pour que la paix fût solidement établie entre l’une et l’autre, que faudrait-il ? Deux choses : que la philosophie, dans un moment donné, absorbant chacun des principes de la religion positive, n’en renfermât pas d’autres. Or, c’est ce que le monde n’a point encore trouvé ; et quoique l’homme tende, par une approximation éternelle, vers cette unité, elle ne sera pourtant atteinte que par-delà toute progression, je veux dire en Dieu même. Chez les anciens, le système des alexandrins renfermait, il est vrai, en substance les doctrines du sacerdoce païen, et la métaphysique, s’infatuant de l’orthodoxie des temps passés, la réhabilita sous le nom d’Orphée. Mais ce paganisme prétendu touchait déjà par mille points à l’Évangile ; saint Jean y puisa sans scrupule. Plotin, Proclus, Platon avant eux, dépassaient de tous côtés l’horizon des croyances établies, et l’Aréopage le fit assez voir à leur maître Socrate. De même, aujourd’hui, la philosophie possède ou croit posséder en héritage ce qu’il y a de permanent dans l’institution du christianisme. Au lieu d’Orphée, elle réhabilite le moyen-âge avec la scolastique ; ce qui ne l’empêche pas de s’ouvrir, en même temps, à des idées qui contredisent, non pas seulement la lettre et l’histoire, mais le génie même de la religion chrétienne.

Si l’on insiste pour savoir en quoi consiste cette mésintelligence, je dirai clairement que le panthéisme[1] tente aujourd’hui de se substituer en Allemagne à l’esprit de l’Évangile, et que c’est à cela

  1. Je lis dans un journal allemand : « Les Français tombent dans le panthéisme, auquel vous avons prudemment échappé par une adroite dialectique. » N’est-ce pas là voir la paille dans l’œil de son voisin, et ne pas voir dans le sien la poutre de cent coudées ?