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DE LA VIE DE JÉSUS.

un simulacre de tradition qui suffit pour les sauver du vertige. C’est ce qu’ils appellent garder l’idée en sacrifiant la lettre. Tout impalpable qu’il est, ce fil imaginaire les empêche de se croire entièrement égarés ; et, bien que leur critique soit souvent plus meurtrière et plus hardie que celle de Voltaire, ils ne laissent pas de dire comme Polyeucte : « Je suis chrétien ! » L’accord de la science et de la croyance est le premier problème que se posent toutes les écoles ; chacune estime l’avoir résolu à la satisfaction générale. Seulement, de transformations en transformations, il arrive souvent que l’institution chrétienne devient précisément ce qui n’a plus de nom dans aucune langue. Qui ne voit, par exemple, combien complaisantes sont les formules de l’absolu ? Est-il un culte, une idole auxquels on ne puisse les appliquer sans effort, et se peut-il que, sur une aussi faible apparence, des esprits se croient véritablement échappés au naufrage ?

Je vois tous les jours des hommes qui, ayant commencé par rejeter la Genèse, ont été conduits plus tard à rejeter les prophètes, puis les apôtres avec les évangélistes, puis les saints pères, puis les conciles, puis l’église, puis la suite entière de l’histoire sacrée, si bien qu’à la fin toute leur tradition s’est bornée à eux-mêmes. Mais, dans ce dénuement, ils n’ont point perdu leur assurance ; ils ont rencontré dans une école de métaphysique un certain nombre de formules faciles à retenir, telles que : le non-moi se révèle dans le moi, l’infini dans le fini ; ils murmurent éternellement en eux-mêmes ces formules sacrées ; et la vertu occulte en est, en effet, si grande, qu’ils sont sincèrement convaincus, non pas seulement qu’ils sont les plus religieux de la terre, mais qu’ils sont les plus orthodoxes de la chrétienté. Non contens de le penser en secret, ils le publient hautement à la face du genre humain ; et bien plus, ils composent dans cet esprit des homélies, des instructions dogmatiques, de pieux mandemens pour l’édification des néophytes. De tout ce que j’ai vu jusqu’ici, rien ne m’a causé d’abord un plus grand étonnement. Il y a aussi des somnambules qui bercent sur leur sein des pierres du cimetière, pensant que c’est là leur enfant endormi !

Au milieu du silence des écoles stupéfaites, il est assurément facile de s’écrier : « Le scepticisme et le dogme, le raisonnement et la foi, vivront à l’avenir dans une paix profonde. Leur discorde n’était qu’un malentendu qui a duré quatre mille ans ; depuis hier, la paix est faite, et notre petit système en est l’éternel garant. » L’affaire est un peu plus malaisée dans la pratique. Si l’on veut dire, en effet, que dans la tradition il est des parties qu’aucun pyrrhonisme ne