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situation prolongée serait d’établir une double doctrine, l’une secrète, l’autre publique ; celle-là pour le prêtre, celle-ci pour le peuple ; distinction qui répugne à une époque où le secret est impossible, où, les castes disparaissant, le sacerdoce véritable tend de plus en plus à se confondre avec le genre humain lui-même, et l’église avec l’état. En second lieu, au moyen de l’étrange logomachie dans laquelle on se déguise, il arrive presque nécessairement qu’après le combat personne ne sait plus sur quel terrain il demeure, s’il est dans la croyance ou dans le doute ; les questions se compliquent à l’infini, sans se résoudre jamais. Dans cette obscurité pleine d’embûches naissent ce que Bacon appelait la philosophie fantasque et la foi hérétique. Chacun s’enveloppe d’une formule, comme les acteurs antiques se couvraient d’un masque monstrueux. Mais l’affaire est ici trop sérieuse pour que personne puisse rester en ces termes. Qui a gagné, qui a perdu à ce terrible jeu où il va de tout ? Est-ce la philosophie ? est-ce la religion ? Il serait bien temps d’en être clairement informé.

En général, je crois sentir que les rapports de la religion et de la philosophie, changés, intervertis par les temps, ont été de trois sortes. D’abord la première a dominé la seconde et l’a traitée en vassale ; c’est par là que toute foi commence. Les pères de l’église s’emparaient des théories de Platon comme du domaine naturel de la révélation ; ils les convertissaient en hymnes, en litanies, en légendes, en symboles canoniques. À véritablement parler, il y avait alors au sein du christianisme un dogme et point de philosophie. Un peu après, la foi et le raisonnement parurent mêlés et indissolublement confondus dans la scolastique. Ce fut là le court moment où ils s’accordèrent l’un l’autre, quoique déjà cette paix fût plus apparente que réelle. Plus tard, la philosophie, sortie de son berceau vers le temps de Descartes et de Mallebranche, commença involontairement à mordre sa nourrice. Dans le siècle suivant, c’est-à-dire dans le XVIIIe, la lutte fut acharnée ; l’alliance parut pour jamais rompue. De nos jours, la philosophie tout-à-fait victorieuse fait la magnanime : elle comprend, elle admet, elle relève, elle réhabilite la foi. Au commencement, c’était la religion qui transformait la philosophie ; de nos jours, c’est la philosophie qui transforme la religion. Par ce peu de mots, il est facile de voir quel chemin on a fait.

Ces réflexions suffisent aussi pour expliquer d’où naît le fond de quiétude que j’ai remarqué plus haut dans le scepticisme des Allemands. Ils n’entrent point sans guides dans ce labyrinthe, comme la philosophie du dernier siècle. Au sein même du doute, ils conservent