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DE LA VIE DE JÉSUS.

gonie chrétienne ; car, qu’est-ce que l’Évangile, sinon la révélation du monde intérieur ?

En cet endroit, je rencontre un étrange raisonnement. On dit : Le premier terme d’une série ne peut être plus grand que celui qui la termine, ce serait là un effet contraire à la loi de tout développement ; d’où l’on infère que Jésus, étant le premier dans la progression des idées chrétiennes, a dû nécessairement rester au-dessous de la pensée et des types des générations suivantes. De cette proposition, il résulterait également que Jésus céderait la place à saint Paul, saint Paul à saint Augustin, saint Augustin à Grégoire VII, Grégoire VII à Luther ; et sur ce terrain mobile, chacun se détruisant l’un l’autre, et n’y ayant plus rien de fixe dans la conception du saint, du juste, du beau, du vrai, qui sait si nous ne nous trouverions pas, en définitive, être le terme ascendant de cette échelle de sainteté ? Car nous aussi nous sommes à l’extrémité d’une série. On prouverait tout aussi bien par là qu’entre Homère et Virgile c’est le second qui fut le maître. Mais depuis quand l’inspiration de la beauté, de la justice, de la vérité, est-elle une progression arithmétique ou géométrique ? On voit qu’il ne s’agit plus du Christ seul, mais bien du principe même de toute personnalité, et que cela va à nier la vie même. Pour moi, je reste persuadé que la personne du Christ fait tellement partie de l’édifice de l’histoire depuis dix-huit cents ans, que, si vous la retranchez, toute autre doit être niée par la même raison et au même titre ; et, sans se déconcerter aucunement, il faut admettre comme conséquence inévitable une humanité sans peuples, ou plutôt des peuples sans individus ; générations d’idées sans formes, qui meurent, renaissent pour mourir encore au pied de l’invisible croix, où reste éternellement suspendu le Christ impersonnel du panthéisme.

L’auteur exprime d’ailleurs cette conclusion aussi nettement qu’on peut le désirer, lorsqu’il résume sa doctrine dans cette sorte de litanie métaphysique : « Le Christ, dit-il, n’est pas un individu, mais une idée, ou plutôt un genre, à savoir l’humanité. Le genre humain, voilà le dieu fait homme ; voilà l’enfant de la vierge visible et du père invisible, c’est-à-dire de la matière et de l’esprit ; voilà le sauveur, le rédempteur, l’impeccable ; voilà celui qui meurt, qui ressuscite, qui monte au ciel. En croyant à ce Christ, à sa mort, à sa résurrection, l’homme se justifie devant Dieu. » Je cite ces paroles non-seulement parce qu’elles résument tout le système de l’auteur, mais aussi parce qu’elles sont l’expression la plus claire de cette apothéose du