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moment le Christ reprend la possession de lui-même jusqu’au Calvaire. Les légions des anges immaculés descendent dans son cœur. Ils achèvent de fortifier d’une nourriture céleste cet esprit lassé dans le combat. Dans tout cela, où est l’impossible ? où est l’imitation ? où est la fable ? et comment se faire une idée de l’Évangile, si l’on n’y voit une continuelle transfiguration de l’histoire intérieure et des pensées du Christ ? Je m’arrête ici, car ce point seul m’entraînerait trop loin.

D’autres fois l’auteur substitue à la simplicité des Écritures une abstraction qui me semble répugner étrangement à leur génie. Ainsi la rencontre de Jésus et de la Samaritaine auprès d’un puits le renvoie naturellement à celles d’Élieser et de Rebecca, de Jacob et de Rachel, de Moïse et de Séphora. Ces ressemblances, fortifiées, il est vrai, de plusieurs circonstances tirées du dialogue, le conduisent à sa conclusion ordinaire, que ce récit n’est rien autre chose qu’un mythe. Je le veux bien. Mais, ceci admis, la difficulté augmente. Cette courte narration, qui portait un tel cachet de simplicité, que va-t-elle devenir ? Une formule de la philosophie de l’histoire. La Samaritaine au bord du puits est l’emblème d’un peuple impur qui a rompu l’alliance avec Jéhovah. Le dialogue tout entier n’est que la figure des relations des premiers chrétiens avec les Samaritains. Mais, comme l’auteur nie que ces relations aient jamais existé en effet, il ne nous reste plus que le symbole d’un symbole, la figure d’un rêve, l’ombre d’une ombre ; ici le sol manque sous les pas. De bonne foi ces abstractions, rédigées en légendes, ne sont-elles pas tout le contraire de l’esprit des Évangiles ? L’auteur est ici dans les théories modernes, dans la synthèse de Hegel. Il est dans le XIXe siècle ; il n’est plus dans le premier.

Ailleurs, je regrette qu’après s’être enseveli dans la littérature des rabbins et du Talmud, il n’ait pas eu recours plus souvent aux voyages modernes qui peignent la vie de l’Orient. Je suis convaincu qu’il aurait trouvé, dans le spectacle des peuples du Levant, quelques traits qui auraient éclairé son sujet. Il eût fait plus ; il eût tempéré par là sa tendance, évidemment trop constante, à tout réduire en abstractions. S’il eût un peu plus approché de ces rivages des apôtres, les scènes du lac de Galilée, le Christ endormi dans l’orage, les flots apaisés par ses paroles, ne lui eussent plus, j’imagine, paru seulement des fictions sans corps, imitations érudites du passage de la mer Rouge, ou figures de la vertu embarquée sur un océan orageux. À cet égard, quel que soit le mépris de la théologie et de la