Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/616

Cette page a été validée par deux contributeurs.
612
REVUE DES DEUX MONDES.

à son geste, à sa parole mystérieuse, et, de l’autre, des pêcheurs saisis par cette parole, entraînés, subjugués, fascinés par cette grandeur qui apparaît au milieu d’eux ? Est-ce donc autrement que l’enthousiasme saisit les ames, et que les hommes se donnent les uns aux autres ? Est-ce, comme le docteur allemand le suppose, par une lente et successive expérience de la supériorité du maître, ou bien par un ravissement soudain, par un emportement irréfléchi, par un abandon entier de soi à la volonté, aux regards, à la pensée d’un autre ? Qui n’a connu des exemples de ce genre, je ne dis pas seulement dans la vie publique, mais aussi dans la vie privée, même la plus obscure, laquelle se passe rarement sans être éclairée, un jour, une heure au moins, par l’une de ces prodigieuses illuminations ? Et les miracles d’amitié, d’héroïsme, est-ce l’expérience, est-ce la temporisation qui les fait ? N’est-ce pas plutôt l’affaire d’un instant suprême dans lequel tout est perdu ou gagné. « Les disciples ont douté l’instant d’après, » dites-vous ? Preuve nouvelle que vous êtes ici dans la vérité, dans la réalité, dans l’histoire. Quoi de plus naturel que l’abattement après l’excès de l’enthousiasme ? Ce sont là de ces traits que n’inventent ni la tradition poétique ni la mythologie. Ce sont bien là des hommes, non des mythes. Pour moi, je l’avoue, tel que le siècle m’a fait, je ne puis encore relire ce début de l’Évangile, sans entendre, comme les pêcheurs de Galilée, l’écho de cette voix bien réelle qui vous dit : « Lève-toi et marche, et cours au bout du monde ; » tant il y a là d’enthousiasme avéré et senti ! C’est là le fiat lux dans la genèse du christianisme ; c’est le mouvement duquel s’engendrent tous les autres. Vous entendez à ce mot les disciples se lever, et pousser devant eux l’ancienne société, l’empire romain qui se dresse à son tour sur son siége, et qui suit l’impulsion, puis l’église, puis les conciles, puis la papauté, puis la réforme, et ce mouvement propagé de siècle en siècle, de génération en génération, arriver à la fin, et sans discontinuité, jusqu’à vous.

Autre exemple. Je le choisis parce qu’il fournit en soi un excellent abrégé de la manière accoutumée de l’auteur. C’est la scène de la tentation du Christ dans le désert. M. Strauss commence par montrer les difficultés, les invraisemblances, les fictions qui se rencontrent dans les évangélistes : un jeûne de quarante jours, l’apparition du démon sous une forme palpable, Jésus transporté d’abord sur le faîte du temple, puis sur une montagne d’où l’on découvre tous les royaumes, la légion des anges qui lui apportent du ciel sa nourriture. Il combat avec avantage les explications naturelles que l’on a jus-