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ajouté à la figure véritable de Jésus tous les traits de l’Ancien Testament qui pouvaient s’y rapporter. La tradition populaire aurait accepté comme réelles les actions imaginaires que l’ancienne loi attribuait au Christ de l’avenir, modelant ainsi, façonnant, agrandissant, corrigeant, divinisant le personnage de Jésus de Nazareth, d’après le type imaginaire conçu d’abord par les prophètes. Sur ce principe, le Nouveau Testament ne serait guère, dans le vrai, qu’une imitation vulgaire et irréfléchie de l’ancien. De la même manière que le dieu de Platon formait l’univers d’après une idée préconçue, les peuples de Palestine auraient eux-mêmes formé le Christ d’après l’idéal que leur fournissait l’ancienne loi. On voit que, dans cette doctrine, ce ne serait pas le Christ qui aurait établi l’église, mais bien l’église qui aurait inventé et établi le Christ. Des prophéties politiques, religieuses, mystiques, voilà le thème que le sentiment des peuples aurait peu à peu converti en évènemens. Le genre humain n’aurait pas été la dupe d’une illusion des sens ; il l’eût été de sa propre création, et l’humanité, depuis deux mille ans, serait à genoux, non pas devant une imposture, comme disait le XVIIIe siècle, mais devant un idéal paré à tort des insignes de la réalité.

Voici d’ailleurs la méthode presque constante que l’auteur emploie pour arriver à ces résultats. Avec un grand nombre de critiques, il admet un intervalle de trente ans entre la mort de Jésus-Christ et la rédaction du premier de nos évangiles. Cet espace lui semble suffisant pour que les imaginations populaires aient eu le temps de se substituer aux faits. Sa critique s’attache successivement à chaque moment de la vie de Jésus. D’après l’école anglaise résumée par Voltaire, d’après les Fragmens d’un inconnu, et un grand nombre d’autres prédécesseurs, il fait ressortir les contradictions des évangélistes entre eux ; il affirme que, si l’orthodoxie n’a pu satisfaire la raison à cet égard, les explications tirées du cours naturel des choses ne sont pas moins fautives. Ces deux genres d’interprétations étant écartés, il ne reste qu’à nier la réalité du fait en lui-même, et à le convertir en allégorie, en légende ou en mythe. C’est la conséquence uniforme par laquelle l’auteur termine chaque discussion ; au reste, pas une parole de douleur, pas un regret sur ces figures dont il ne conserve que l’auréole. L’impression du vide immense que laisserait l’absence du Christ dans la mémoire du genre humain ne lui coûte pas un soupir. Sans colère, sans passion, sans haine, il continue tranquillement, géométriquement la solution de son problème. Est-ce à dire qu’il n’ait pas le sentiment de son œuvre, et que, sapant