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DE LA VIE DE JÉSUS.

giques, déconcertait les plus audacieux ? Comme je l’ai déjà fait entendre, c’était la conséquence des prémisses posées depuis un demi siècle. L’auteur mettait pour la première fois en contact les doctrines les plus contradictoires, les écoles de Bolingbroke, de Voltaire, de Lessing, de Kant, de M. de Maistre, sous quelques noms qu’elles se soient transformées et déguisées, matérialisme, spiritualisme, mysticisme, amateurs de symboles, d’explications naturelles ou figurées ou dogmatiques, de visions, de magnétisme animal, d’allégories, d’étymologies ; et les interprétant, les embarrassant, les brisant les unes par les autres, au moyen d’une dialectique infatigable, il leur arrachait à toutes la même conclusion. En un mot, il concentrait tous les doutes en un seul et formait un même faisceau des traits épars du scepticisme. Ajoutez à cela qu’en déchirant le voile métaphysique qui palliait ces doctrines, il ramenait la question aux termes les plus simples ; que, par là, on voyait à découvert, et pour la première fois, quel travail de destruction on avait accompli. Il soulevait comme Antoine la robe de César. Chacun pouvait reconnaître dans ce grand corps les coups qu’il avait portés dans l’ombre.

Au panthéisme des écoles modernes, l’auteur avait emprunté l’art de déprécier, de diminuer, d’exténuer les personnages historiques ; car il y a un idéalisme naturellement briseur d’images. Toute existence personnelle le gêne et lui déplaît comme une usurpation. Les héros sont pour lui ce que les statues de bois ou d’airain sont pour le mahométisme. Il faut qu’il les renverse. Un peu plus, il regarderait la vie de l’oiseau qui passe, de l’insecte qui murmure, comme un vol fait à l’absolu. Il ne serait content que s’il pouvait réduire l’univers et l’histoire à un parfait silence pour y jouir en paix de l’harmonie de ses propres idées.

Ce n’est pas cependant que le docteur Strauss niât absolument l’existence de Jésus. Il en conserve, au contraire, une ombre, à savoir, que Jésus a été baptisé par saint Jean, qu’il a rassemblé des disciples, qu’à la fin il a succombé à la haine des pharisiens. Voilà, si l’on y joint quelques détails, le fond de vérité auquel l’imagination humaine aurait ajouté toutes les merveilles de la vie du Christ. La suite des évènemens racontés par les évangélistes ne serait rien en réalité qu’une succession d’idées revêtues d’une forme poétique par la tradition, c’est-à-dire, une mythologie.

La manière dont l’auteur conçoit que cette œuvre d’imagination a été accomplie, mérite surtout d’être remarquée. Il pense que, frappés de l’attente du Messie, les peuples de Palestine ont peu à peu