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qu’elle ne s’est point arrêtée devant le nouveau. Pour expliquer les concordances littérales[1] des trois premiers évangiles, chacun a été donné successivement pour le primitif. Lessing les tenait pour des traductions libres d’un original perdu que l’on s’est figuré tour à tour hébraïque, araméen, chaldaïque ou syriaque, grec même, et qu’enfin on a supposé n’avoir jamais été écrit ; c’est ce que l’on nommait un évangile oral. Pour trancher la difficulté, Schleiermacher s’attachait de préférence à saint Luc, le compagnon et le confident de saint Paul ; mais il dépréciait saint Matthieu à cause de sa tendance judaïque, et saint Marc, que l’on a appelé, je ne sais trop pourquoi, le patron des matérialistes. À travers tant de critiques qui se heurtent et se détruisent l’une l’autre, ce qui demeure constant, c’est que les théologiens allemands tendent de plus en plus à considérer les trois premiers évangiles, non plus comme des témoignages oculaires, mais comme des expressions plus ou moins vagues de la tradition. Tout le débat paraît se concentrer peu à peu sur l’authenticité de saint Jean. « C’est désormais pour nous la grande question, » me disait, ces jours-ci, le docteur Strauss, après une longue conversation sur ces matières.

D’après ce qui précède, on peut juger quelle était la pente des choses lorsqu’en 1835 parut obscurément, avec le privilége royal, l’Histoire de la vie de Jésus, par le docteur Strauss, répétiteur au séminaire évangélique et théologique de Tubingue. Quoique, certes, les esprits dussent être préparés à ce dénouement, l’effet en fut si prompt, si électrique, si inoui, que, contrairement à tous les usages reçus en pareille matière, le gouvernement prussien consulta le clergé protestant pour savoir s’il ne serait pas opportun de prohiber cet ouvrage dans ses états. Le célèbre Neander, l’une des ames les plus élevées et les plus convaincues de l’église réformée, fut chargé de faire la réponse. Il déclara que l’ouvrage déféré à son examen attentait, il est vrai, à toutes ses croyances ; qu’il demandait nonobstant que la liberté ne fût point suspendue pour son adversaire, et que la discussion fût seule juge de la vérité et de l’erreur. Réponse digne de cet homme doublement vénérable, et qui ouvrait, d’une manière glorieuse pour l’église, l’immense débat qui allait en résulter.

Quel était donc ce livre qui, dans le pays des nouveautés théolo-

  1. Voyez Gieseler, sur l’Origine des Évangiles, 1815. — Schleiermacher, De l’Évangile selon saint Luc. — De Wette, Credner, Introduction au Nouveau Testament. — Voyez aussi Histoire critique du texte du Nouveau Testament, par Richard Simon, prêtre, 1689, Rotterdam, etc.