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D’autre part, les idées que Wolf avait appliquées a l’Iliade, Niebuhr à l’histoire romaine[1], ne pouvaient manquer d’être transportées plus tard dans la critique des saintes Écritures ; c’est ce qui arriva bientôt, en effet, et le même genre de recherches et d’esprit, qui avait conduit à nier la personne d’Homère, conduisit à diminuer celle de Moïse. M. de Wette, l’un des plus célèbres théologiens de ce temps-ci, entra le premier dans ce système. Les cinq premiers livres de la Bible sont, à ses yeux, l’épopée de la théocratie hébraïque ; ils ne renferment pas, selon lui, plus de vérité que l’épopée des Grecs. De la même manière que l’Iliade et l’Odyssée sont l’ouvrage héréditaire des rapsodes, ainsi le Pentateuque[2] est, à l’exception du Décalogue, l’œuvre continue et anonyme du sacerdoce. Abraham et Isaac valent, pour la fable, Ulysse et Agamemnon, roi des hommes. Quant aux voyages de Jacob, aux fiançailles de Rebecca, « un Homère de Canaan, dit l’auteur, n’eût rien inventé de mieux. » Le départ d’Égypte, les quarante années dans le désert, les soixante-six vieillards sur les trônes des tribus, les plaintes d’Aaron, enfin la législation même du Sinaï, ne sont rien qu’une série incohérente de poèmes libres et de mythes. Le caractère seul de ces fictions change avec chaque livre, poétiques dans la Genèse, juridiques dans l’Exode, sacerdotales dans le Lévitique, politiques dans les Nombres, étymologiques, diplomatiques, généalogiques, mais presque jamais historiques dans le Deutéronome. Les ouvrages dans lesquels M. de Wette a développé ce système ont, comme tous les siens, le mérite d’une netteté qu’on ne peut trop apprécier, surtout dans son pays. Les résultats de ses recherches ne sont jamais déguisés sous des leurres métaphysiques : un disciple du XVIIIe siècle n’écrirait pas avec une précision plus vive. L’auteur pressent que sa critique doit finir par être appliquée au Nouveau Testament ; mais, loin de s’émouvoir de cette idée, comme on pourrait s’y attendre, il conclut avec le même repos que Schleiermacher : « Heureux, dit-il, après avoir lacéré page à page l’ancienne loi, heureux nos ancêtres qui, encore inexpérimentés dans l’art de l’exégèse, croyaient simplement, loyale-

  1. Voyez la Revue des Deux Mondes, 15 mai 1836 : Homère, et 15 août : de l’Épopée latine.
  2. « En ce qui touche le Pentateuque, nous pouvons admettre, comme reconnu et établi par toutes les recherches de notre temps, que les livres de Moïse sont un recueil de fragmens épars, originairement étrangers les uns aux autres, et l’œuvre de différens auteurs. » (De Wette, professeur de théologie à Bâle.) — Les premiers résultats de sa critique ont paru sous les auspices et avec une introduction du conseiller ecclésiastique Griesbach, en 1806, sous le titre d’Introduction à l’Ancien Testament. Voyez surtout tom. II, pag. 94, 198, 216, 247.