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DE LA VIE DE JÉSUS.

faire ? Voulez-vous aussi vous réduire à ces retranchemens, et vous y laisser bloquer par la science ? Je compte pour rien les feux croisés de l’ironie qui se renouvelleront de temps en temps ; car elle vous fera peu de mal, si vous savez l’endurer. Mais l’isolement ! mais la famine de l’intelligence ! mais la science qui, abandonnée par vous, livrée par vous, devra arborer les couleurs de l’incrédulité ! L’histoire sera-t-elle divisée en deux parts, d’un côté le christianisme avec la barbarie, de l’autre la science avec l’impiété ? Ce serait, je le sais, l’opinion d’un grand nombre ; et du sol ébranlé sous nos pas sortent déjà des fantômes d’orthodoxie pour lesquels tout examen qui dépasse la lettre vieillie est un conseil de Satan ; mais, Dieu merci ! nous ne choisirons pas ces larves pour les gardiens du saint sépulcre, et ni vous, ni moi, ni nos amis communs, ni nos disciples, ni leurs successeurs, nous ne leur appartiendrons jamais[1]. »

Cette lettre véritablement extraordinaire, quand on songe qu’elle a pour auteur le prince de la théologie allemande, a été publiée par lui-même dans un journal ecclésiastique, en 1829. Ce n’est plus ici la raillerie subtile du XVIIIe siècle. Vous reconnaissez à ces paroles l’inextinguible curiosité de l’esprit de l’homme penché au bord du vide ; l’abîme, en murmurant, l’attire à soi, comme un enchanteur. Il ne s’agit plus de détruire, mais de savoir ; passion bien autrement profonde que la première, et qui ne s’arrêtera plus avant d’avoir touché le fond du mystère. Depuis ce temps, en effet, la crise annoncée s’approche chaque jour. Je n’en indiquerai que les phases principales, soit qu’elles touchent au moment auquel je suis parvenu, soit qu’elles remontent un peu plus haut.

Au système d’Origène s’étaient jointes d’abord les habitudes de critique que l’on avait puisées dans l’étude de l’antiquité profane. On avait tant de fois exalté la sagesse du paganisme, que, pour couronnement, il ne restait qu’à la confondre avec la sagesse de l’Évangile. Si la mythologie des anciens est un christianisme commencé, il faut conclure que le christianisme est une mythologie perfectionnée.

  1. Schleiermacher, mort en 1834, un de ces esprits essentiellement multiples, qui sont présens partout à la fois dans l’empire des idées, et qu’il faudrait bien se garder de juger ici d’après une page. J’espère présenter plus tard un examen de ses œuvres principales et de son influence sur l’esprit de la réforme. Ce sera le lieu d’indiquer la variété infinie et les nuances diverses des écoles religieuses de notre temps, la mysticité la plus sainte dans M. Neander, l’orthodoxie inflexible du vieux luthéranisme dans M. Hengstemberg, un éclectisme savant dans M. Ullmann, un théisme évangélique dans M. Paulus, un catholicisme renouvelé dans M. Gunther de Vienne, etc., etc. On comprendra qu’aujourd’hui je ne puis m’attacher qu’à la ligne droite. Sans cela, voulant tout dire à la fois, comment échapperais-je à la confusion ?