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recherche que de coutume. Après dîner, c’est-à-dire vers quatre heures, le jeune homme donna le bras à sa mère, et tous deux se dirigèrent vers l’avenue. Ils causaient à voix basse, et paraissaient inquiets ; Margot, restée seule au salon, regardait avec anxiété par la fenêtre, lorsqu’une chaise de poste entra dans la cour, Gaston courut ouvrir la portière ; une vieille dame descendit d’abord, puis une jeune demoiselle d’environ dix-neuf ans, élégamment vêtue et belle comme le jour. À l’accueil qu’on fit aux deux étrangères, Margot jugea qu’elles n’étaient pas seulement des personnes de distinction, mais qu’elles devaient être des parentes de sa marraine ; les deux meilleures chambres de la maison avaient été préparées. Lorsque les nouvelles arrivées entrèrent au salon, Mme Doradour fit un signe et dit tout bas à Margot de se retirer. Celle-ci s’éloigna à contre-cœur, et le séjour de ces deux dames ne lui sembla rien promettre d’agréable.

Elle hésitait, le jour suivant, à descendre au déjeuner, quand sa marraine vint la prendre, et la présenta à Mme et à Mlle de Vercelles ; ainsi se nommaient les deux étrangères. En entrant dans la salle à manger, Margot vit qu’il y avait une serviette blanche à sa place ordinaire, qui était à côté de Gaston. Elle s’assit en silence, mais non sans tristesse, à une autre place ; la sienne fut prise par Mlle de Vercelles, et il ne fut pas difficile de voir bientôt que le jeune homme regardait beaucoup sa voisine. Margot resta muette pendant le repas ; elle servit un plat qui était devant elle, et quand elle en offrit à Gaston, il n’eut pas même l’air de l’avoir entendue. Après le déjeuner, on se promena dans le parc ; lorsqu’on eut fait quelques tours d’allées, Mme Doradour prit le bras de la vieille dame, et Gaston offrit aussitôt le sien à la belle jeune fille ; Margot, restée seule, marchait derrière la compagnie ; personne ne pensait à elle ni ne lui adressait la parole ; elle s’arrêta et revint à la maison. À dîner, Mme Doradour fit apporter une bouteille de frontignan, et, comme elle avait conservé en tout les vieilles coutumes, elle tendit son verre, avant de boire, pour inviter ses hôtes à trinquer. Tout le monde imita son exemple, excepté Margot, qui ne savait trop quoi faire. Elle souleva pourtant aussi un peu son verre, espérant être encouragée. Personne ne répondit à son geste craintif, et elle remit le verre devant elle sans avoir bu ce qu’il contenait. — C’est dommage que nous n’ayons pas un cinquième, dit Mme de Vercelles après dîner, nous ferions une bouillotte (on jouait alors la bouillotte à cinq). Margot, assise dans un coin, se garda bien de dire qu’elle savait y jouer, et sa marraine proposa un whist. Le souper venu, au dessert, on pria Mlle de Vercelles de chanter ; la demoi-