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DE LA VIE DE JÉSUS.

sidération, qu’après tout, on ne sacrifiait que les parties mortelles et pour ainsi dire le corps du christianisme, mais qu’au moyen de l’explication figurée, on en sauvait le sens, c’est-à-dire l’ame et la partie éternelle. C’est là ce que, dans ses leçons sur la religion, Hegel appelait : analyser le fils[1]. Ainsi, avec la plus grande tranquillité de conscience, les défenseurs naturels du dogme travaillaient de toutes parts au changement de la croyance établie ; car il faut remarquer que cette œuvre n’était pas accomplie comme elle l’avait été chez nous par les gens du monde et par les philosophes de profession. Au contraire, cette révolution s’achevait presque entièrement par le concours des théologiens. C’est dans le cœur même de l’église qu’elle puisait toute sa force.

Au sein de cette destruction toujours croissante, ce que je ne puis me lasser d’admirer, c’est la quiétude de tous ces hommes qui semblent ne pas s’apercevoir de leurs œuvres, et qui, effaçant chaque jour un mot de la Bible, ne sont pas moins tranquilles sur l’avenir de leur croyance. On dirait qu’ils vivent paisiblement dans le scepticisme comme dans leur condition naturelle. Il en est un pourtant qui a eu de loin le pressentiment et, comme il le dit lui-même, la certitude d’une crise imminente. C’est aussi le plus grand de tous, Schleiermacher, fait pour régner dans ce trouble universel, si l’anarchie des intelligences eût consenti à recevoir un maître ; noble esprit, éloquent prédicateur, grand écrivain : ce qui le caractérise, c’est qu’il a été, à un degré presque égal, théologien et philosophe. Aucun homme n’a fait de plus grands efforts pour concilier la croyance ancienne avec la science nouvelle. Les concessions auxquelles il a été entraîné sont incroyables. Comme un homme battu par un violent orage, il a sacrifié les mâts et la voilure pour sauver le corps du vaisseau. D’abord il renonce à la tradition et à l’appui de l’Ancien Testament ; c’est ce qu’il appelait rompre avec l’ancienne alliance. Pour satisfaire l’esprit cosmopolite, il plaçait, à quelques égards, le mosaïsme au-dessous du mahométisme. Plus tard, s’étant fait un Ancien Testament sans prophéties, il se fit un Évangile sans miracles. Encore arrivait-il à ce débris de révélation, non plus par les Écritures, mais par une espèce de ravissement de conscience, ou plutôt par un miracle de la parole intérieure. Pourtant même, dans ce christianisme ainsi dépouillé, la philosophie ne le laissa guère en repos, en sorte que, toujours pressé par elle et ne voulant renoncer ni à la croyance

  1. Den Sohn analysiren