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quelque temps faire pencher son pays vers les doctrines étrangères. Mais ce ne fut là qu’un essai qui ne s’adressait pas à l’esprit véritable de l’Allemagne. Elle devait chanceler par un autre côté. Ces fragmens restèrent épars comme les pensées d’un Pascal incrédule, et le monument du doute ne fut pas plus achevé que ne l’avait été le monument de la foi.

L’homme qui de nos jours a fait faire le plus grand pas à l’Allemagne, ce n’est ni Kant, ni Lessing, ni le grand Frédéric ; c’est Benedict Spinosa. Voilà l’esprit que l’on rencontre au fond de sa poésie, de sa critique, de sa philosophie, de sa théologie, comme le grand tentateur sous l’arbre touffu de la science. Gœthe[1], Schelling, Hegel, Schleiermacher, pour s’en tenir aux maîtres, sont le fruit de ses œuvres. Si l’on relisait en particulier son traité de théologie et ses étonnantes lettres à Oldembourg, on y trouverait le germe de toutes les propositions soutenues depuis peu dans l’exégèse allemande. C’est de lui surtout qu’est née l’interprétation de la Bible par les phénomènes naturels. Il avait dit quelque part : « Tout ce qui est raconté dans les livres révélés s’est passé conformément aux lois établies dans l’univers. » Une école s’empara avidement de ce principe. À ceux qui voulaient s’arrêter suspendus dans le scepticisme, il offrait l’immense avantage de conserver toute la doctrine de la révélation, au moyen d’une réticence ou d’une explication préliminaire. L’Évangile ne laissait pas d’être un code de morale divine ; on n’accusait la bonne foi de personne. L’histoire sacrée planait au-dessus de toute controverse. Quoi de plus ? Il s’agissait seulement de reconnaître une fois pour toutes que ce qui nous est présenté aujourd’hui par la tradition comme un phénomène surnaturel, un miracle, n’a été, dans la réalité, qu’un fait très simple, grossi à l’origine par la surprise des sens, tantôt une erreur dans le texte, tantôt un signe de copiste, le plus souvent un prodige qui n’a jamais existé hormis dans les secrets de la grammaire ou de la rhétorique orientale. On ne se figure pas quels efforts ont été faits pour rabaisser ainsi l’Évangile aux proportions d’une chronique morale. On le dépouillait de son auréole, pour le sauver sous l’apparence de la médiocrité. Ce qu’il y avait

  1. Si l’on veut avoir une idée de la croyance de l’auteur de Faust, on peut en juger par les paroles suivantes, déjà citées par M. Tholück dans la préface de sa Défense de la foi chrétienne. C’est là que je les emprunte : « Tu considères, écrivait Gœthe à Lavater, l’Évangile comme la vérité la plus divine. Pour moi, une voix sortie du ciel même ne me persuaderait pas que l’eau brûle, que le feu gèle, ou que les morts ressuscitent. Je regarde bien plutôt tout cela comme un blasphème contre le grand Dieu et contre sa révélation dans la nature. » (Correspondance de Lavater, 178.)