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DE LA VIE DE JÉSUS.

panthéisme, étant entré à grands flots dans la métaphysique allemande, ne fit que miner de plus en plus les vieux rivages de l’orthodoxie. Selon l’école moitié mystique, moitié sceptique, de Schelling, la révélation de l’Évangile ne fut plus qu’un des accidens de l’éternelle révélation de Dieu dans la nature et dans l’histoire ; et, un peu après, l’abstraction croissant toujours, Hegel ne vit plus dans le christianisme qu’une idée dont la valeur religieuse est indépendante des témoignages de la tradition, ce qui revient à dire que le principe moral de l’Évangile est divin, lors même que l’histoire est incertaine. Or, qu’est-ce que cela, sinon aboutir, dans le fait, à la profession de foi du vicaire savoyard ? Ainsi, de déductions en déductions, de formules en formules, la philosophie du XVIIIe siècle et celle du XIXe, après s’être long-temps combattues et niées l’une l’autre, finissaient par se réconcilier et s’embrasser sur les ruines de la même croyance.

Au reste, il ne suffit pas d’indiquer les rapports de la métaphysique et de la théologie de nos jours ; il faut montrer d’une manière plus explicite comment, dans la critique des livres sacrés, on a suivi des méthodes diamétralement opposées en France et en Allemagne ; car les différences infinies qui séparent ces deux pays n’ont paru nulle part mieux que dans la voie qu’ils ont embrassée, chacun pour arriver au scepticisme. Celui de la France va droit au but, sans déguisement ni circonlocution. Il est d’origine païenne ; il emprunte ses argumens à Celse, à Porphyre, à l’empereur Julien. Je ne crois pas qu’il y ait une seule objection de Voltaire qui n’ait été d’abord présentée par ces derniers apologistes des dieux olympiens. Dans l’esprit de ce système, la partie miraculeuse des Écritures ne révèle que la fraude des uns et l’aveuglement des autres ; ce ne sont partout qu’imputations d’artifice et de dol. Il semble que le paganisme lui-même se plaigne, dans sa langue, que l’Évangile lui a enlevé le monde par surprise. Le ressentiment de la vieille société perce encore dans ces accusations, et il y a comme une réminiscence classique des dieux de Rome et d’Athènes dans tout ce système qui fut celui de l’école anglaise aussi bien que des encyclopédistes.

Ce genre d’attaque ne se montra guère en Allemagne, excepté dans Lessing, qui encore le transforma avec une autorité suprême. Par ses lettres et sa défense des Fragmens d’un inconnu[1], il sembla

    curieux de voir dans cet ouvrage Kant s’appuyer de l’autorité du même Bolingbroke, qui avait déjà fourni tant d’armes à Voltaire.

  1. L’auteur est Reimarus. Lessing les a d’abord publiés sous ce titre : Fragmens d’un Inconnu, tirés de la bibliothèque de Wolfenbüttel.