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homme, tant d’esprits ne s’en seraient pas alarmés à la fois. Mais, lorsqu’on vit qu’il était comme la conséquence mathématique de presque tous les travaux accomplis au-delà du Rhin depuis cinquante ans, et que chacun avait apporté une pierre à ce triste sépulcre, l’Allemagne savante tressaillit et recula devant son œuvre. C’est là ce qui se passe dans ce pays depuis trois ans.

En effet, si l’on y suit pour un moment l’esprit qui a régné dans la philosophie, dans la critique et dans l’histoire, on s’étonne seulement que cette conséquence ait tardé si long-temps à paraître. On ne peut manquer de voir que le docteur Strauss a eu des précurseurs dans chacun des chefs d’école qui ont brillé depuis un demi-siècle, et qu’il était impossible qu’un système tant de fois prophétisé n’achevât pas de se montrer.

Lorsque la philosophie allemande remplaça dans le monde celle du XVIIIe siècle, on put croire que ce qui avait été détruit par Voltaire, allait être rétabli par Kant et par Gœthe. Le spiritualisme des uns pouvait-il aboutir au même résultat que le sensualisme de l’autre ? Non, sans doute. Celui qui eût osé assurer le contraire eût passé pour insensé. Combien de gens se berçaient de cette idée que le christianisme allait trouver une restauration complète dans la métaphysique nouvelle ! Il semble même que la philosophie partagea cette illusion et qu’elle crut fermement avoir fait sa paix avec la religion positive. La vérité est qu’elle se borna à changer les armes émoussées du dernier siècle et à porter la querelle sur un autre terrain. C’est ce qui parut d’une manière manifeste dans l’ouvrage de Kant sur la religion, lequel sert encore de fond à presque toutes les innovations de nos jours. Que sont les Écritures sacrées pour le philosophe de Kœnigsberg ? Une suite d’allégories morales, une sorte de commentaire populaire de la loi du devoir. Le Christ lui-même n’est plus qu’un idéal qui plane solitairement dans la conscience de l’humanité. D’ailleurs, la résurrection étant retranchée de ce prétendu christianisme, il ne restait, à vrai dire, qu’une religion de mort, un évangile de la raison pure, un Jésus abstrait, sans la crèche et le sépulcre. Depuis l’apparition de cet ouvrage, il ne fut plus permis de se tromper sur l’espèce d’alliance de la philosophie nouvelle avec la foi évangélique. Dans ce traité de paix, la critique, le raisonnement, le scepticisme, se réservaient tous leurs droits ; ils se couronnaient eux-mêmes ; s’ils laissaient subsister la religion, c’était comme une province conquise dont ils marquaient à leur gré les limites[1]. Plus tard, le

  1. Le titre le disait assez clairement : De la Religion dans les limites de la raison. Il est