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dans la philosophie, ni même dans la poésie, ne subsiste véritablement que dans le vide.

D’autre part, lorsqu’une question fondamentale saisit, agite, absorbe tous les esprits choisis d’un pays voisin, philosophes, historiens, linguistes, naturalistes, théologiens ; que ce débat a enfanté une multitude de travaux plus ou moins remarquables, et qu’une société entière s’y est trouvée mêlée, est-il permis de s’en tenir, sur des faits aussi graves, à la politique du silence ? Serait-il même à désirer que tout ce bruit fût étouffé, de peur d’ajouter le doute au doute ? Ou plutôt n’est-ce pas le moment où, la guerre intestine ayant éclaté dans l’intelligence d’un peuple, il est nécessaire que le sujet du débat devienne de plus en plus notoire, afin que l’opinion de tous intervienne peu à peu dans le démêlé ? Que serait-ce s’il s’agissait du procès même du christianisme ? Ne faudrait-il pas, en définitive, qu’il fût jugé par la conscience du monde chrétien[1] ?

Dans cette alternative, le temps et l’espace me manquant également, que me reste-t-il à faire ici, lorsqu’à grand’peine un volume entier suffirait à la tâche ? Établir l’état de la question, appeler de ce côté l’attention des hommes sincères de toutes les croyances ; sans prétendre imposer mon opinion au lecteur, le laisser à même de juger, sinon du fond de ces débats, au moins de l’esprit général qui les domine, concilier le respect de la tradition avec la recherche de la vérité : tel est le problème qu’il faudrait résoudre dans quelques pages.

On m’accordera volontiers, en commençant, que l’habitude de déprécier l’influence du protestantisme est devenue un des lieux communs de la rhétorique de notre époque. Du haut de notre grandeur orthodoxe ou sceptique, nous voyons avec pitié ramper à nos pieds cette petite et mesquine réforme. « Quel outrage au passé, selon les uns ! Quel oubli du présent, selon les autres ! Et, dans l’opinion de tous, quelle pauvreté de génie ! quelle impuissance ! quelle inconséquence ! Quoi ! toujours à genoux devant la règle de Luther ou de

  1. Pendant que la réformation est en proie à une crise prodigieuse, n’est-il pas incroyable que nous n’ayons pas à Paris une faculté de théologie protestante qui nous représente ce mouvement dans une discussion sévère ? Se peut-il que nous soyons réduits là-dessus à des articles de revue ? Les immenses débats de la critique moderne, touchant les Écritures et l’histoire de l’église, se consommeront-ils sans que la France, qui a fondé l’exégèse sous Louis XIV, ait aujourd’hui un mot à dire sur ces questions ? Si c’est notre orthodoxie qui nous retient, ne voit-on pas que l’application de l’intelligence aux matières de religion est mille fois préférable à l’indifférence, et qu’il est des temps où, pour vivre, il faut combattre ? Si c’est le dédain philosophique, je n’ai plus rien à dire. À ce mal je ne sais point de remède.