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en se réveillant avec fort peu de cérémonie. Il lui fallut quelque temps pour se rappeler où il était ; à cette triste découverte, les rêveries de Margot s’évanouirent ; et quand le jeune homme lui offrit, pour descendre, la main qu’elle avait effleurée, elle ne vit que trop clairement qu’elle venait de voyager seule.

VI.

Deux évènemens imprévus, dont l’un fut ridicule et l’autre sérieux, arrivèrent presque en même temps. Gaston était un matin dans l’avenue de la maison, essayant un cheval qu’il venait d’acheter, lorsqu’un petit garçon, à demi couvert de haillons et presque nu, vint à lui d’un air résolu, et s’arrêta devant son cheval. C’était Pierrot, le gardeur de dindons. Gaston ne le reconnut pas, et croyant qu’il lui demandait l’aumône, il lui jeta quelques sous dans son bonnet. Pierrot mit les sous dans sa poche, mais, au lieu de s’éloigner, il courut après le cavalier et se replaça devant lui quelques pas plus loin. Gaston lui cria deux ou trois fois de se garer, mais en vain ; Pierrot le suivait et l’arrêtait toujours. — Que me veux-tu, petit drôle ? demanda le jeune homme ; as-tu juré de te faire écraser ?

— Monsieur, répondit Pierrot sans se déranger, je voudrais être domestique de monsieur.

— De qui ?

— De vous, monsieur.

— De moi ? Et à propos de quoi me fais-tu cette demande ?

— Pour être domestique de monsieur.

— Mais je n’ai pas besoin de domestique ; qui t’a dit que j’en cherchais un ?

— Personne, monsieur.

— Que viens-tu donc faire, alors ?

— Je viens demander à monsieur d’être son domestique.

— Est-ce que tu es fou, ou te moques-tu de moi ?

— Non, monsieur.

— Tiens, laisse-moi en repos.

Gaston lui jeta encore quelque monnaie, et détournant son cheval, il continua sa route. Pierrot s’assit sur le bord de l’avenue, et Margot venant à y passer quelque temps après, l’y trouva pleurant à chaudes larmes. Elle accourut à lui aussitôt :

— Qu’as-tu, mon pauvre Pierrot ? que t’est-il arrivé ?