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REVUE. — CHRONIQUE.

Nous sommes très disposés à penser qu’à cette époque les doctrinaires furent les ministres les plus constitutionnels du monde, et nous ne leur demandons pas compte de ces prétendus empiétemens de la royauté sur lesquels les doctrinaires savent bien à quoi s’en tenir ; mais si ces invasions du pouvoir royal n’existent, en réalité, que sous la plume de ceux qui s’en servent comme d’argumens pour jeter l’alarme dans les esprits, la théorie qui reconnaît au roi une influence immense et souveraine existe plus réellement, et cette théorie est tout entière du fait des doctrinaires. Ce n’était déjà plus un temps de guerre civile, une époque où la dictature pouvait paraître nécessaire, que celle où M. Persil, alors membre hautement avoué du parti doctrinaire, et lié étroitement par ses opinions politiques à M. Duvergier de Hauranne et à ses amis, émettait le principe que le roi règne et gouverne. Quand M. Guizot adressait son allocution aux électeurs de Lizieux ; quand les organes du parti commentaient et étendaient encore les paroles de M. Guizot, l’ordre régnait-il ou non dans le pays ? et était-il devenu nécessaire, urgent, de prêcher l’extension presque illimitée de la prérogative royale ? Qui donc alors voulait réduire les chambres à un rôle insignifiant et passif, si ce n’est les doctrinaires ? Qui donc proclamait hautement l’excellence des vues et l’étendue des lumières du roi ? Qui donc repoussait avec colère les prétentions de l’opposition, qui voulait, comme le veut aujourd’hui le parti doctrinaire, que la royauté fût réduite à un rôle passif et insignifiant ? Qui donc demandait d’un air de dédain, s’il était possible de condamner un esprit actif et supérieur à la nullité et à l’inaction, parce qu’il avait le malheur d’être roi, et si l’opposition avait le projet de réduire le souverain constitutionnel à être le seul homme de son royaume qui n’aurait pas le droit de donner son avis sur les affaires ? Et aujourd’hui, M. Duvergier de Hauranne se croit obligé de venir nier formellement, au nom du parti doctrinaire, « que, dans l’état actuel de la civilisation, la royauté, quelque intelligente qu’elle soit, suffise à tous les besoins et puisse, sans danger pour le pays et pour elle-même, annuler et suppléer les autres pouvoirs. » Mais personne, personne en France n’a jamais dit ces paroles ; il est vrai que quelques propositions, non pas aussi hardies, mais un peu semblables, ont été soutenues pendant quelque temps dans un journal, au grand scandale de tous. Ce journal se publiait quand les doctrinaires étaient ministres ; il était injurieusement opposant aux membres non doctrinaires du cabinet, et, pour plus grand scandale, il se publiait sous l’aile d’un des ministres doctrinaires et s’inspirait dans le ministère de l’intérieur, où M. Duvergier de Hauranne jouait alors un grand rôle, rôle occulte, il est vrai, et du genre de celui qu’il voudrait aujourd’hui prêter à la royauté.

Nous en avons assez dit pour montrer si les accusations de M. Duvergier de Hauranne sont sincères. Mais sont-elles justes, au moins ? Après avoir montré la royauté sortant de sa sphère, il fallait bien, pour compléter le tableau, s’apitoyer sur l’asservissement de la chambre. Mais ici M. Duvergier de Hauranne, non moins audacieux dans ses récriminations, s’avance sur un terrain où il est plus facile de le joindre et de le réfuter. Il est facile d’accuser la royauté de pénétrer là où se font les affaires. Assurément les ministres