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DES THÉORIES ET DES AFFAIRES EN POLITIQUE.

1789 semblaient abattus, et cependant, si on lit avec attention l’histoire et les actes du congrès de Vienne, on voit combien l’esprit du siècle a déjà modifié la diplomatie et les transactions politiques. Vingt-quatre ans nous séparent de cette époque ; que de changemens nouveaux ! La seconde moitié de l’Amérique reconnue dans son émancipation par l’Europe ; la Grèce affranchie ; l’Orient mis en mouvement ; l’Égypte régénérée ; une Afrique française ; le problème de la réforme turque ; Constantinople disputée à la domination russe par d’habiles traités ; l’Espagne en travail ; la Belgique s’efforçant de s’individualiser ; le milieu de l’Europe cherchant son équilibre et sa force dans l’intime réunion de la France et de l’Allemagne, et dans l’échange intelligent des ressources et des qualités de ces deux grandes nations ; voilà seulement quelques traits de l’immense situation au milieu de laquelle nous avons à vivre. Pendant le XVIIe et le XVIIIe siècle, le monde politique gardait à peu près les mêmes proportions ; mais il semble, au XIXe siècle, reculer incessamment ses bornes, comme il avait fait à l’époque de Léon X et de Luther, de François Ier et de Calvin.

Sur cette mer infinie, dans cette inépuisable variété d’intérêts, de faits et de détails, comment ne pas s’égarer sans l’étude, sans l’expérience ? Moins que jamais, aujourd’hui, la politique peut être une exaltation passagère, une chaleur de tête ; elle ne saurait être qu’un apprentissage successif, où la connaissance des petites affaires mène à l’intelligence des grandes. Louis XIV demandait un jour au cardinal de Janson où il en avait tant appris en fait de négociations. « Sire, répondit le cardinal, c’est lorsque j’étais évêque de Digne, en courant avec une lanterne sourde pour faire un maire d’Aix. » Comment espérer de servir un jour utilement son pays, si l’on ne s’est pas donné la peine de s’instruire de son organisation, de ses rapports avec les autres peuples, de sa vie enfin ? Nous ne connaissons pas de passions politiques qui puissent dispenser de ces travaux nécessaires, et le patriotisme n’exempte pas de l’étude.

Maintenant il reste à se demander si la presse quotidienne, en général, répond à ces obligations, et si elle montre des connaissances suffisantes pour soulever et traiter les questions auxquelles elle se prend. Mais auparavant il ne sera pas inutile de prouver à ceux qui ont estimé que c’était une grande nouveauté, une hardiesse inouie de censurer les journaux qui censurent tout, et pour ainsi dire de critiquer la critique même, que dans les pays les plus démocratiques les journaux n’échappent pas à la loi commune d’une discussion