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commençons à désirer que la politique ne soit plus une crise, mais une méthode.

Si chaque société européenne voit dans son sein la masse des affaires et des intérêts s’accroître tous les jours, il est une autre complication plus vaste encore, et qui ne porte pas un moindre témoignage touchant les progrès de la civilisation humaine ; nous voulons parler de cette solidarité tous les jours plus sensible et plus profonde qui enlace tous les états, ne permet pas à l’un de se mouvoir sans ébranler l’autre, et fait de tant de parties diverses une sorte de communauté indivisible. Il est remarquable que l’esprit cosmopolite produit aujourd’hui les mêmes effets que le christianisme au moyen-âge ; car c’est à la fin du XIe siècle, et non dans la dernière moitié du XVe, qu’il faut placer les premiers développemens du droit international européen, qui, pendant trois cents ans, réunit les peuples dans une communion toute catholique, trouvant dans la papauté sa force, son centre, son unité. Depuis Philippe-le-Bel jusqu’à Charles Quint, les peuples se séparent de nouveau ; ils constatent de plus en plus leur nationalité par la guerre ; ils se cantonnent, ils se trompent mutuellement ; ils font de la perfidie un devoir, de la ruse une science, jusqu’à ce que la réforme de Luther vienne imprimer un nouveau mouvement de solidarité morale aux affaires politiques. Les vrais intérêts des nations font si peu divorce avec les idées, qu’ils se transforment toujours avec les croyances et les systèmes. Depuis la paix de Westphalie, qui a créé deux Europes, l’une catholique, l’autre protestante, jusqu’en 1789, l’ambition politique des rois et des ministres occupe toute la scène. Enfin, la révolution française vient, comme la papauté, comme la réforme, instaurer une nouvelle diplomatie. Le prince de Talleyrand s’est complu à remarquer que beaucoup de diplomates célèbres avaient été de profonds théologiens. Ce détail, spirituellement observé, trouve sa raison dans la dépendance où vit la politique, tant intérieure qu’extérieure, des changemens que subissent les croyances et les idées des peuples, soit que la religion ou la philosophie domine : suivant les différences des temps, les politiques seront des théologiens ou auront l’esprit métaphysique. Quand Napoléon, après la révolution française, comme Charles Quint pendant la réforme, eut manifesté le dessein d’une suprématie universelle, l’Europe fut remuée jusqu’au fond de sa conscience, et la diplomatie vint, après la guerre, délibérer sur ses destinées et son économie. La France était alors malheureuse ; les principes de