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DES THÉORIES ET DES AFFAIRES EN POLITIQUE.

crate, puisque nous sommes seuls, il faut te le dire ; tu es dans la pire espèce d’ignorance, comme tes paroles le font voir, et comme tu le témoignes contre toi-même. Voilà pourquoi tu t’es jeté dans la politique avant de l’avoir apprise. Et tu n’es pas le seul dans cet état, il t’est commun avec la plupart de ceux qui parlent des affaires de la république ; je n’en excepte qu’un petit nombre, et peut-être le seul Périclès, ton tuteur. — Si le conseil d’apprendre la politique avant de s’y jeter était déjà convenablement adressé aux jeunes hommes de la petite cité d’Athènes, il semble que nous ne devons pas le trouver moins judicieux, et que nous pouvons en prendre notre part. Dans l’antiquité comme dans les temps modernes, les difficultés de la science politique croissaient en raison des développemens de la civilisation. On peut dire que dans la plupart des villes helléniques il y avait peu ou point d’affaires, ou que du moins elles y étaient fort simples. Mais déjà à Athènes, qui était à la fois pour la Grèce une école, une capitale et un entrepôt, le système politique se compliquait. On voit dans les historiens et les orateurs quelle foule de lois et de décrets il fallait connaître, que de relations Athènes entretenait avec les autres Grecs et avec les barbares. L’ordre administratif, l’ordre économique et la diplomatie y étaient déjà fort avancés, et l’érudition contemporaine en a exploré les détails avec une industrieuse sagacité. Mais c’est à Rome, vers les derniers temps de la république, que les affaires, dans l’antiquité, devinrent une vaste étude et bientôt une science. Avec le règne d’Auguste, le génie administratif fait son avénement, et nous voyons des hommes d’état qui ont presque une physionomie moderne, tant les détails de l’administration et les faits politiques sont nombreux et pressés !

Quand, sur les ruines de la société païenne, les nations modernes sortirent peu à peu des races barbares, baptisées par le christianisme, la complication des affaires se mêla progressivement aux ardeurs de la foi et à la poésie du moyen-âge ; c’est l’instinct politique qui agit seul ; la réflexion et ses théories ne paraissent point encore ; mais les hommes pratiques se multiplient, et le calcul dans les affaires se produit, pour ainsi parler, naïvement. À la fin du XVe siècle, le passage est sensible des faits instinctifs à un commencement de théorie ; c’est le temps de Louis XI, de Ferdinand-le-Catholique, jusqu’à ce qu’enfin, avec la réforme religieuse, se fasse jour une force de réflexion plus grande dans la gestion des intérêts humains.

Par une coïncidence naturelle, l’esprit de l’homme se mit à réfléchir aussi bien sur la vie positive que sur les délicatesses et les mys-