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qui veulent être politiques l’étude et l’entente des affaires, il est aussi pour les hommes en particulier un moment où ils cherchent avidement la pratique, où l’esprit saturé de théories, plein des souvenirs et des faits du passé, s’adresse vivement au présent, l’interroge, le sollicite, veut le fouiller à fond et tirer de la réalité tout ce qu’elle contient. Plus l’esprit a mis de vitesse et de feu à parcourir les régions de la théorie, à esquisser les généralités de la philosophie politique, plus sa curiosité sera grande d’explorer les faits, d’examiner les détails positifs, afin de compléter sa moisson et de connaître tous les aspects de la vie sociale, qui se compose, non-seulement de la conception des idées, mais des formes, des institutions et des accidens qui les manifestent et les traduisent. Exigerez-vous des hommes qu’ils ne sortent jamais des premières régions qu’ils ont traversées ? voulez-vous qu’ils restent toujours suspendus dans les nuages, comme Socrate dans le panier où l’a mis Aristophane ? Non, il vaut mieux que le théoricien descende sur la terre, et que, se faisant pratique, il puisse contrôler la spéculation par la réalité.

Si donc le temps veut qu’on l’étudie dans ses tendances et dans ses besoins, et si des esprits sont disposés à obéir à ces indications impérieuses de leur époque, pourquoi donc ne suivraient-ils pas cette pente ? Qui les arrêterait ? La crainte de paraître avoir changé ? la peur de montrer qu’ils font autre chose que ce qu’ils ont fait ? L’appréhension serait singulière en France, qui, depuis cinquante ans, ne vit que de changemens. Commencez par rayer l’histoire, si vous voulez chez nous immobiliser la vie.

La révolution de 1789 a mis au monde une société nouvelle qui, depuis environ cinquante ans, cherche son équilibre et commence aujourd’hui à le trouver. Que de changemens ! que de secousses ! que de transformations rapides ! Une partie des novateurs de 89 se montre, à deux ans de distance, déjà préoccupée du besoin de faire halte, et Mirabeau meurt conservateur. Mais alors l’extrême gauche de la révolution a le dessus ; les girondins remplacent les constituans ; tournez la page, et vous les cherchez ; ils ont été dévorés par le jacobinisme, qui triomphe et succombe en dix-huit mois. Quelques momens encore, et vous ne reconnaîtrez plus ceux qui n’ont pas disparu dans la tempête. Le Sièyes de 99 ressemble-t-il à celui de 95 ? Mais voici d’autres nouveautés : un jeune lieutenant dont l’ame avait un instant brûlé des ardeurs de la montagne, consent, pendant quelques jours, à n’être que premier consul ; c’est une dernière politesse qu’il fait à la république ; puis il passe subitement empereur, et il montre, à