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MARGOT.

Margot, dans sa nouvelle condition, avait conservé les goûts de son premier état. Pendant que Gaston était à la chasse, elle passait souvent ses matinées dans le potager ; elle savait manier à propos la serpe, le râteau et l’arrosoir, et plus d’une fois elle avait donné un bon conseil au jardinier. Le potager s’étendait devant la maison et servait en même temps de parterre ; les fleurs, les fruits et les légumes y venaient en compagnie. Margot affectionnait surtout un grand espalier couvert des plus belles pêches ; elle en prenait un soin extrême, et c’était elle qui, chaque jour, y choisissait, d’une main économe, quelques fruits pour le dessert. Il y avait sur l’espalier une pêche beaucoup plus grosse que toutes les autres ; Margot ne pouvait se décider à cueillir cette pêche ; elle la trouvait si veloutée et d’une si belle couleur de pourpre, qu’elle n’osait la détacher de l’arbre, et qu’il lui semblait que c’eût été un meurtre de la manger. Elle ne passait jamais devant sans l’admirer et elle avait recommandé au jardinier qu’on ne s’avisât pas d’y toucher, sous peine d’encourir sa colère et les reproches de sa marraine. Un jour, au soleil couchant, Gaston, revenant de la chasse, traversa le potager ; pressé par la soif, il étendit la main en passant près de l’espalier, et le hasard fit qu’il en arracha le fruit favori de Margot, dans lequel il mordit sans respect. Elle était à quelques pas de là, arrosant un carré de légumes ; elle accourut aussitôt, mais le jeune homme, ne la voyant pas, continua sa route. Après une ou deux bouchées, il jeta le fruit à terre et entra dans la maison. Margot avait vu du premier coup d’œil que sa chère pêche était perdue. Le brusque mouvement de Gaston, l’air d’insouciance avec lequel il avait jeté la pêche, avaient produit sur la petite fille un effet bizarre et inattendu. Elle était désolée et en même temps ravie, car elle pensait que Gaston devait avoir grand’soif, par le soleil ardent qu’il faisait, et que ce fruit devait lui avoir fait plaisir. Elle ramassa la pêche, et après avoir soufflé dessus pour en essuyer la poussière, elle regarda si personne ne pouvait la voir, puis elle y déposa un baiser furtif ; mais elle ne put s’empêcher en même temps de donner un petit coup de dent pour y goûter. Je ne sais quelle singulière idée lui traversa l’esprit, et pensant peut-être au fruit, peut-être à elle-même : Méchant garçon, murmura-t-elle, comme vous gaspillez sans le savoir !

Je demande grâce au lecteur pour les enfantillages que je lui raconte, mais comment raconterais-je autre chose, mon héroïne étant un enfant ? Mme Doradour avait été invitée à dîner dans un château des environs. Elle y mena Gaston et Margot ; on se sépara fort tard, et il