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lyse. Ruy-Blas se résigne à l’avilissement, comme s’il avait hâte d’accomplir la vengeance méditée par don Salluste. Il quitte la cour où il devrait rester ; il écoute les ordres de son ancien maître, qu’il devrait chasser et livrer aux bâtons de ses laquais, ou poignarder de sa main, et il va dans un faubourg de Madrid attendre que don Salluste dispose de lui selon son caprice. La mesure de l’absurde est comblée.

Le quatrième acte est le plus hardi défi que M. Hugo ait jamais adressé au bon sens et au goût de son auditoire. L’arrivée de don César par la cheminée, le pillage de la garde-robe et du buffet de Ruy-Blas, le dialogue de don César et de la duègne, sont dignes de Bobèche et de Galimafré, à la gaieté près ; car il nous est impossible de trouver dans ce quatrième acte autre chose qu’un cynisme révoltant. Don Japhet d’Arménie et le Roman comique, comparés au quatrième acte de Ruy-Blas, sont des chefs-d’œuvre de décence et de délicatesse. Si M. Hugo a voulu surpasser Scarron en grossièreté, nous devons l’avertir qu’il a réussi au-delà de ses souhaits. Jamais Scarron n’a fait de la personne humaine ce que l’auteur de Ruy-Blas a fait de don César. Les acteurs forains qui échangent entre eux des coups de latte et des soufflets, peuvent seuls donner une idée de cet incroyable intermède. Nous savons maintenant pourquoi M. Hugo refuse à la poésie grecque la connaissance du grotesque. Il n’y a rien en effet dans les comédies d’Aristophane qui puisse se comparer aux cyniques railleries prononcées par don César. Toutes les fois qu’Aristophane parodie la vie athénienne ou le polythéisme de la Grèce, il cache un conseil sous chacune de ses railleries. Mais il est impossible d’attribuer aucun sens aux quolibets de carrefour récités par don César. Il est donc vrai que la Grèce n’a pas connu le grotesque ; elle a été assez heureuse pour ne pas se complaire, comme l’auteur de Ruy-Blas, dans l’avilissement de la personne humaine.

Il est inutile de raconter comment don Salluste attire la reine chez Ruy-Blas. Un des deux billets écrits dans le premier acte suffit à réaliser ce projet. Marie de Neubourg arrive chez son amant, seule, sans que personne la retienne ou l’arrête en chemin. Cette femme, qui tout à l’heure ne pouvait ni manger un fruit, ni se mettre à la fenêtre, traverse librement les salles de son palais ; et les rues de Madrid. Elle vient au rendez-vous que Ruy-Blas lui a donné avant de lui déclarer son amour. Don Salluste paraît, et sa vengeance est consommée. Telle est du moins la pensée de M. Hugo, car il semble naturel à l’auteur de cet inconcevable ouvrage que Ruy-Blas se laisse