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RUY-BLAS.

parc, la blessure de Ruy-Blas et son évanouissement sont des ressorts tellement mesquins, que je crois inutile de les discuter.

Le troisième acte est certainement le meilleur de la pièce ; c’est le seul qui rappelle les précédens ouvrages dramatiques de M. Hugo. La séance du conseil de Castille n’est qu’une bouffonnerie digne tout au plus des tréteaux de boulevard ; mais l’apostrophe de Ruy-Blas aux conseillers épouvantés est calquée habilement sur le discours de Saint-Vallier aux courtisans du Louvre, dans le Roi s’amuse. Quoique le discours de Saint-Vallier soit très supérieur à l’apostrophe de Ruy-Blas, nous devons tenir compte à M. Hugo de ce dernier morceau ; il conviendrait cependant de l’abréger un peu. Il est évident que l’auteur attache une grande importance à cette apostrophe, et qu’il a voulu y déployer, comme dans le monologue de Charles Quint, ce qu’il prend pour de la science politique. Cette fois-ci du moins il n’a pillé que lui-même, tandis que le monologue de Charles Quint, si vanté par les amis de M. Hugo, appartient presque tout entier au Fiesque de Schiller. La scène où Marie de Neubourg avoue son amour à Ruy-Blas n’est pas un seul instant passionnée ; c’est un échange de grands mots, de phrases inachevées, et rien de plus. Cette scène se trouve, d’ailleurs, dans tous les drames précédens de M. Hugo. Le cœur ne joue aucun rôle dans ce dialogue emphatique et sonore ; Marie de Neubourg et Ruy-Blas se divinisent mutuellement, échangent des prières, au lieu de s’adresser des paroles de tendresse, et n’émeuvent personne. Le retour inattendu de don Salluste affublé d’une livrée, les insultes qu’il prodigue à son ancien laquais, et l’étrange docilité de Ruy-Blas, ont excité dans l’auditoire un étonnement, un frisson d’indignation, où les amis de l’auteur verront sans doute une preuve de la puissance dramatique de M. Hugo. Pour notre part, nous n’hésitons pas à déclarer que cette scène est tout à la fois impossible et révoltante. Personne ne conçoit comment Ruy-Blas, premier ministre, aimé de la reine, tout puissant à la cour d’Espagne, se laisse insulter par don Salluste, venu sans armes, et qu’il peut égorger sans résistance. Si M. Hugo a cru obtenir un effet dramatique en faisant dire à Ruy-Blas par don Salluste : Il fait froid, fermez la fenêtre, ramassez mon mouchoir, il s’est trompé complètement. Pour obéir à ces ordres insultans, il faut plus que de la lâcheté, il faut de la folie. Pour châtier l’insolence de don Salluste, Ruy-Blas n’a pas même besoin de courage, il n’a besoin que de bon sens. S’il se défie de son bras, il est sûr de trouver un bras prêt à le venger. Ainsi ce troisième acte, le meilleur de la pièce, ne résiste pas à l’ana-