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beau pour l’aimer, et, dans ce cas, laquais ou grand d’Espagne, elle doit continuer de l’aimer ; ou elle était convaincue de son génie politique, et, dans ce cas, comment cesse-t-elle d’admirer Ruy-Blas parce qu’il a porté la livrée ? Le personnage de Marie de Neubourg n’est donc pas conçu d’une façon plus naturelle que don Salluste et Ruy-Blas.

Don César de Bazan, dont le nom et les titres sont donnés à Ruy-Blas par don Salluste, a le malheur de ressembler au type le plus populaire des théâtres de boulevard. Il est taillé sur le patron de Robert Macaire, et paraît prendre à tâche d’exagérer le modèle qu’il copie. Il se vautre dans la fange, il s’avilit, il se dénonce au mépris public, comme s’il craignait d’être confondu avec les honnêtes gens. Il fait d’incroyables efforts pour appeler le rire sur ses lèvres, pour égayer l’auditoire ; mais ses railleries grossières sur les hommes qu’il a tués et dépouillés, sur les grands seigneurs dont il porte le manteau et le pourpoint, sur les évêques dont il a dérobé la bourse, n’excitent que le dégoût et ne dérident personne. Un tel personnage égaierait peut-être le bagne ou la geôle ; mais je ne crois pas qu’il se rencontre parmi les spectateurs un seul homme capable de le comprendre et de l’applaudir. Tuer, piller, se réjouir, se glorifier du meurtre et du vol, n’a jamais été, ne sera jamais le moyen de plaire à une assemblée venue pour assister au développement des passions humaines. Or, tout le mérite de don César se réduit à exposer magistralement la morale que nous avons quelquefois entendue à la cour d’assises. Il fait la poétique du meurtre et du pillage, comme il établirait les lois de la tragédie ou de l’épopée. Il prend une à une toutes les facultés qui honorent la personne humaine pour les souiller, pour les couvrir de boue. Il traite son cœur et son intelligence comme des haillons peuplés de vermine, et célèbre la débauche et la gourmandise comme s’il craignait de ressembler encore à quelque chose d’humain. À chaque verre qu’il vide, à chaque morceau qu’il avale, il prend soin de nous dire qu’il compte sur sa gloutonnerie pour s’abrutir et se faire l’égal du pourceau. Il faut que le goût de l’antithèse soit enraciné bien profondément dans la pensée de M. Hugo, pour qu’un tel personnage lui ait paru digne de la poésie dramatique. L’amour de Ruy-Blas et de Marie de Neubourg n’avait pas besoin pour ressortir d’un tel repoussoir.

Don Guritan paraît avoir la même destination que don César ; il partage avec lui l’emploi de gracieux. Heureusement il n’est que ridicule. Il est impossible de voir en lui autre chose qu’une caricature