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DU VANDALISME.

d’être vus ; qui nous en débarrassera ? » Dans la collection de ce savant archéologue, on voit de curieux émaux bysantins, qu’il avait d’abord admirés à la cathédrale de Sens, et qui lui ont été apportés, il y a trois ou quatre ans, par un brocanteur, qui les avait achetés à l’église, toujours moyennant le badigeonnage d’une chapelle. À Troyes, la fabrique de la Madeleine a fait tailler, dans les bases et les fûts des colonnes, un certain nombre de places, que l’on loue à 3 ou 4 francs par an, au risque de faire écrouler l’édifice tout entier. C’est, du reste, la même fabrique qui voulait absolument abattre le fameux jubé de cette église, regardé comme le plus beau de France, sous prétexte que ce n’était plus de mode, et qui ne l’a épargné qu’à condition de pouvoir l’empâter sous une épaisse couche de badigeon[1]. Rien n’échappe à ce mépris systématique de la vénérable antiquité ; mais ce qui semble spécialement exposé à ses coups, ce sont les anciens fonts baptismaux, objets de l’étude et de l’appréciation toute particulière de nos voisins les Anglais. À Lagery, près Reims, le curé a fait briser des fonts romans pour les remplacer par des fonts modernes. Il en est de même dans presque toutes les églises du nord et de l’est de la France ; partout les fonts sont brisés ou relégués dans un coin obscur, pour faire place à quelque conque païenne. De l’autre côté de la France, près Poitiers, dans une église dont j’ai le tort d’avoir oublié le nom, il y avait un ancien font baptismal par immersion. Cette particularité si rare et si curieuse n’a pas suffi pour lui faire trouver grace devant le curé, qui l’a fait détruire. Ailleurs ce sont ces vieilles tapisseries, si estimées aujourd’hui des antiquaires, surtout depuis que le bel ouvrage de M. Achille Jubinal est venu en révéler toute la beauté et toute l’importance. À Clermont en Auvergne, il y a dans la cathédrale douze tapisseries provenant de l’ancien évêché, et faites de 1505 à 1511, sous la direction de Jacques d’Amboise, membre de cette illustre famille si généreusement amie des arts ; elles sont toutes déchirées, moisies et abîmées de poussière. M. Thévenot, membre du comité des arts, avait offert de les nettoyer à ses frais et d’en prendre un calque ; mais le chapitre lui a répondu par un refus. À Notre-Dame de Reims, il y a encore d’autres tapisseries du XIVe siècle, qui sont découpées, et servent de tapis de pied au trône épiscopal. En revanche, quand on aura besoin de ce genre de parures pour certaines fêtes de l’église, comme c’est encore l’usage à Paris pour la semaine sainte, soyez sûr qu’on ira chercher au hasard, dans quelque garde-meuble, tout ce qu’il y aura de plus ridiculement contradictoire avec la sainteté du lieu et du temps ; c’est ainsi que le vendredi saint de cette année 1838, tout le monde a pu voir au tombeau de Saint-Sulpice, le Festin d’Antoine et Cléopâtre (Cléopâtre dans le costume le plus léger), et à celui de Saint-Germain-des-Prés, Vénus amenant l’amour aux nymphes de Calypso ! Quand on voit l’ornementation des églises catholiques conduite de cette façon ; quand on voit ce qu’on y détruit et ce qu’on y admet, n’est-on pas tenté de se demander comment s’y prendraient

  1. Arnaud, Antiquités de Troyes, 1827.