Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/52

Cette page a été validée par deux contributeurs.
48
REVUE DES DEUX MONDES.

temps après, Mme Doradour dit à Margot ; « Ma chère enfant, tu vas revoir ta mère ; nous passerons l’automne à la Honville. »

v.

L’habitation de la Honville était à une lieue de Chartres, et à une demi-lieue, environ, de la ferme où demeuraient les parens de Margot. Ce n’était pas tout-à-fait un château, mais une très belle maison avec un grand parc. Mme Doradour n’y venait pas souvent, et depuis nombre d’années on n’y avait vu qu’un régisseur. Ce voyage précipité, les entretiens secrets entre le jeune homme et la vieille dame, surprenaient Margot et l’inquiétaient.

Il n’y avait que deux jours que Mme Doradour était arrivée, et tous les paquets n’étaient pas encore déballés, lorsqu’on vit s’avancer dans la plaine dix colosses marchant en bon ordre ; c’était la famille Piédeleu qui venait faire ses complimens ; la mère portait un panier de fruits, les fils tenaient à la main chacun un pot de giroflées, et le bonhomme se prélassait, ayant dans ses poches deux énormes melons qu’il avait choisis lui-même et jugés les meilleurs de son potager. Mme Doradour reçut ces présens avec sa bonté ordinaire, et comme elle avait prévu la visite de ses fermiers, elle tira aussitôt de son armoire huit gilets de soie à fleurs pour les garçons, une dentelle pour la mère Piédeleu, et, pour le bonhomme, un beau chapeau de feutre à larges bords dont la gance était retenue par une boucle d’or. Les complimens étant échangés, Margot, brillante de joie et de santé, comparut devant sa famille ; après qu’elle eut été embrassée à la ronde, sa marraine fit tout haut son éloge, vanta sa douceur, sa sagesse, son esprit, et les joues de la jeune fille, toutes vermeilles des baisers qu’elle avait reçus, se colorèrent encore d’une pourpre plus vive ; la mère Piédeleu, voyant la toilette de Margot, jugea qu’elle devait être heureuse, et elle ne put s’empêcher, en bonne mère, de lui dire qu’elle n’avait jamais été si jolie. — C’est ma foi vrai, dit le bonhomme. — C’est vrai, répéta une voix qui fit trembler Margot jusqu’au fond du cœur ; c’était Gaston qui venait d’entrer.

En ce moment, la porte étant restée ouverte, on aperçut dans l’antichambre le petit gardeur de dindons, Pierrot, qui avait tant pleuré au départ de Margot. Il avait suivi ses maîtres à quelque distance, et n’osant entrer dans le salon, il fit, de loin, un salut craintif. — Quel est ce petit gas ? dit Mme Doradour. Approche donc, petit, viens nous dire bonjour. Pierrot salua de nouveau, mais rien ne put le décider